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Le PKK a déclaré la guerre à l’AKP (1)

samedi 27 mai 2006, par Neşe Düzel

© Turquie Européenne pour la traduction

© Radikal, le 10/04/2006

Dans le cadre d’une série de rencontres avec des représentants de la société civile kurde, Mme Nese Düzel nous livre ici un entretien avec Ümit Firat, l’un des organisateurs de la récente conférence sur la question kurde tenue à Istanbul. Au programme : les motifs et les modes de l’alliance tacite conclue entre les maximalistes de chaque camp.

- Ümit Fırat, pourquoi ?

A la série de bizarreries qui ont suivi les évènements de Şemdinli, viennent de s’ajouter soudainement les émeutes dans le Sud-Est. Bien que généralement l’opinion publique puisse comprendre la raison des émeutes et l’objectif des manifestants, cette fois ce fut un peu difficile d’appréhender le sens de ces évènements. Que deux évènements étranges visant chacun à faire trébucher la Turquie sur la voie qu’elle suit dans son processus de négociations avec l’UE, se suivent d’aussi près n’a pas manqué d’éveiller des soupçons chez nombre d’intellectuels. On a commencé à régulièrement évoquer la possibilité que les faucons kurdes et turcs puissent se donner la main et monter des opérations communes. C’est peut-être la première fois que la question de savoir si deux forces apparemment différentes ne constituaient pas en fait un seul et même front a été posée de manière aussi claire.
Nous avons donc décidé de poser ces questions à Ümit Firat, un intellectuel kurde de tout premier plan, à l’origine de l’organisation de la conférence tenue le mois dernier à l’Université Bilgi sur la question kurde.
Emprisonné pendant 4 ans lors du dernier coup d’Etat, il a longtemps travaillé aux Editions Iletisim. Il fait aussi partie de membres fondateurs du Parti de la Nouvelle Démocratie de Cem Boyner.


- Le Sud-Est de la Turquie est à nouveau en proie aux troubles. On y voit des émeutes et des manifestations dans la rue. Cette fois, pourtant, on ne comprend pas trop ce qui se passe. Quel est le but des Kurdes qui organisent de tels mouvements ? Que cherchent-ils à obtenir ainsi ?

Les manifestations, ces émeutes ne sont pas terminées. Elles vont continuer. Parce qu’il y a des gens qui ont besoin des conséquences de ces émeutes. Aujourd’hui ces manifestations sont le dernier maillon d’une chaîne.

- Quelle chaîne ? Quel scénario ?

Il y a des gens qui, en Turquie, attendent beaucoup de la mise hors d’état de nuire de la société civile et de la montée en puissance des forces armées et des groupes qui recourent à la violence.
En août dernier, le premier ministre Erdogan a utilisé le terme de « problème kurde » dans un discours prononcé à Diyarbakir après s’être entretenu avec des intellectuels. Il a déclaré que ce problème était le sien et qu’il se règlerait de manière démocratique. Bien sûr que ce ne fut pas la découverte de l’Amérique. Le problème kurde existe depuis longtemps et on parlait à huis clos dans les cercles de l’Etat ; mais pour la première fois le chef du gouvernement abordait la question à haute voix.
Le fait de l’évoquer publiquement découle d’un besoin d’offrir la perspective d’une solution à ce problème. Ce fut un développement très positif. Mais à l’intérieur de l’Etat, certains cercles ont mal accueilli cette approche civile. Et d’ailleurs les derniers évènements correspondent à une destruction d’un espace civil et à la mise en avant des seuls échanges armés.

- Les objectifs de ces manifestations contenaient-ils celui d’une grâce à Öcalan ?

Les dernières émeutes n’ont aucun rapport avec une amnistie générale. On ne demande liberté que pour Öcalan. On dit que « sa volonté est la nôtre ».
En outre ceux qui ont lancé une campagne du style « l’interlocuteur sur la question kurde est Öcalan » ou bien « la solution à la question kurde passe par Öcalan », ne se satisfont pas de ce que la société civile s’empare de la question kurde de ce qu’elle s’élargisse encore.
Des deux côtés, les faucons ne veulent pas perdre le contrôle d’un environnement en tension.

Regardez donc : après les élections de 2002, le gouvernement et les responsables civils ont gagné en espaces d’expression quant à l’avenir de la Turquie. On peut suivre les procès-verbaux des entretiens d’Öcalan avec ses avocats par les organes de diffusion du parti. Faites attention : Öcalan a été capturé en 1999. Jusqu’en 2002, il n’a pas trop critiqué le pouvoir en place. En 2002, l’AKP arrive au pouvoir. Öcalan a depuis systématiquement critiqué le gouvernement.

- Quel sens revêt donc ce comportement selon vous ?

Cela signifie tout simplement qu’Öcalan se sent plus proche des militaires que du gouvernement.

- Il se sent plus proche d’une armée qui a défait ses propres forces ? En outre, il est incarcéré dans une prison militaire. Cela ne constitue-t-il pas une situation bizarre ?

En août dernier, Öcalan a dit très clairement : l’AKP est en train de creuser l’espace qui sépare les militaires du PKK. Si cela continue de la sorte, ce pays va éclater. Et nous comprenons d’ailleurs de ses entretiens avec ses avocats qu’Öcalan, depuis le début entretient ce genre de discours avec les militaires. « Le problème kurde, nous le règlerons tous les deux. Les militaires et moi. Il est nul besoin d’une intermédiation civile », dit-il. Par ailleurs, la guérilla qui avait cessé en septembre 1999 a recommencé en juin 2004. Et cette guerre redéclarée en 2004 est une guerre déclarée à un AKP qui a franchi d"importantes étapes sur le chemin de l’UE. Parce que la Turquie ne peut pas laisser la question kurde en l’état et qu’à mesure qu’elle avancera vers l’UE elle ira vers une solution démocratique de la question kurde. Et les chefs de guerre des deux côtés souhaitent-ils que l’on trouve une solution au problème kurde sur le modèle de ce qui a pu se faire dans d’autres pays membres de l’UE ? Au cours d’un tel processus, les civils gagnent en importance et les cercles tirant leur pouvoir de la guerre en perdent. Parce que les processus de règlement sont menés par des gouvernements civils.

- Le procureur de Van chargé du réquisitoire contre les sous-officiers surpris en train de faire sauter une boutique à Semdinli a avancé que tout cela était destiné à tendre encore l’atmosphère. L’objectif des manifestations qui ont eu lieu dans le Sud-Est semble être de montrer que l’environnement est effectivement tendu. Qu’est-ce qui réunit en fait les deux extrèmités ?

Leur but commun est de détruire le moindre espace civil. De rendre insoluble la question kurde. Ceux qui veulent combattre par des voies démocratiques ne peuvent trouver aucune place dans un environnement où des gens en arme sonnent de leur trompette et ainsi la question kurde ne peut être résolue. D’ailleurs si vous souhaitez résoudre la question kurde par la voie des armes, cela signifie qu’en fait vous ne souhaitez rien résoudre du tout. Et à mesure que meurent des gens dans des accrochages, vous ne vous rapprochez pas d’une solution mais bien au contraire vous vous en éloignez. Au final ce sont les civils qui doivent se serrer la main pour la paix. Alors que l’espace civil se réduit à rien et que les civils s’éloignent les uns des autres, c’est la possibilité de cette poignée de mains qui disparaît. Le PKK était bien plus faible qu’aujourd’hui avant les évènements de Semdinli. Cinq mois plus tôt, le PKK était bien plus faible qu’aujourd’hui.

- Le New York Times affirme que les Kurdes cherchent à provoquer une guerre civile. Est-ce bien ce qu’ils recherchent ?

Les Kurdes ne recherchent pas la guerre civile. Les gens qui descendent dans la rue, les manifestants ne souhaitent pas la guerre.

- Les organisations kurdes s’opposant à ces manifestations ont publié des communiqués. Ils déclaraient que ces événements portaient atteinte au développement de la région. Le PKK perçoit-il le développement et l’enrichissement de la région comme une menace ?

Bien sûr que oui. Par le passé, les organisations kurdes n’osaient pas s’exprimer ainsi de peur des représailles. Aujourd’hui, elles le font. Parce qu’aujourd’hui, les masses pensent comme elles. Aujourd’hui les responsables kurdes qui ne souhaitent pas la guerre ont acquis un soutien populaire. Alors que 7 années plus tôt, le soutien au PKK était bien plus intense et actif.

- Le soutien au PKK a-t-il décru ?

Le soutien à une politique de guerre a décru ; pas au PKK. Le mot d’ordre du PKK selon lequel la seule solution c’est la guerre ne connaît plus le succès qu’il a pu connaître. La grande majorité l’appelle à prendre part aux élections et à se montrer actif au niveau des collectivités locales.

- Pendant longtemps, on n’a évoqué la question kurde que comme celle du PKK. Ce dernier est-il encore le représentant de la question kurde ou bien le PKK et le problème kurde tendent-ils à se séparer ?

La question kurde a toujours existé. 90 ans plus tôt, c’était déjà une réalité. Le PKK est une conséquence particulièrement visible de cette question-là. Le PKK n’est pas en lui-même la question kurde. Mais pour solutionner la question kurde, vous êtes contraints de régler le problème du PKK. Le PKK constitue aujourd’hui un obstacle de taille au règlement de cette question. C’est un élément de blocage.
Vous ne pourrez trouver de solution à la question kurde sans normaliser le PKK. Vous pouvez faire autant d’hôtels et de routes que vous souhaitez dans les régions kurdes, vous serez néanmoins obligés de dissoudre le PKK, de tirer un trait sur la politique d’aujourd’hui, d’en finir, politiquement avec ce parti. Pour cela, en plus d’une amnistie générale, il faut envisager des réformes et des projets d’amélioration. Et si le PKK choisit alors de remonter dans ses montagnes, et de rester une organisation armée, alors il ne lui restera plus aucune légitimité sociale. Le PKK est illégal mais il dispose aujourd’hui d’une légitimité sociale forte. Sinon comment pourrait-il s’adresser à un si large espace politique ?

[à suivre...]

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