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Le cri du cœur de neuf jeunes filles

lundi 2 octobre 2006, par Demet Bilge Ergün

©Turquie Européenne pour la traduction

© Radikal, le 29/09/2006

Elles sont neuf. Neuf jeunes adolescentes qui ont décidé de dire tout haut ce que les femmes vivent et pensent tout bas, face à la multiplication des suicides qui viennent masquer ou remplacer l’ancestral « crime d’honneur ». Partie d’un quartier de Batman, ville pauvre du sud-est anatolien, l’initiative a fait le tour le presse nationale et internationale.

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- BATMAN – « ... Nous souffrons et nous nous affligeons pour chaque suicide d’une jeune fille ; évènement qui se répète régulièrement… Nous vivons au 21e siècle. Débarrassez-vous donc de cette mentalité archaïque ! Quelle conscience serait capable de tolérer telle oppression envers les filles ? Comment vos consciences ne s’affligent-elles pas alors que de si jeunes êtres sont entraînés vers la mort ? Comment ensuite se présenter chez ses semblables et se considérer comme un homme ? Ne nous traînez plus vers des fautes irréparables. Nous ne voulons pas mourir. »

Ces mots et ces phrases sont ceux d’un groupe de jeunes lycéennes protestant contre les suicides de jeunes femmes à Batman. Sorties dans la rue pour une marche silencieuse, elles entendaient réagir au suicide d’une jeune fille de leur quartier : une telle démarche n’a pas manqué de capter l’attention de la Turquie tout entière et, au-delà, des journalistes étrangers.

La nouvelle du suicide de Saliha Demir s’est répandue comme traînée de poudre dans le quartier de Çamlica. Elle s’était donnée la mort vendredi dernier par pendaison. Le suicide de Saliha n’était que le dernier d’une longue série de suicides enregistrés à Batman. La nouvelle aurait pu passer dans la presse locale avant de vite disparaître. Mais pour les filles de ce quartier ce n’était pas une nouvelle à oublier, tant, cette fois, la menace les avait frôlées.
Il fallait faire quelque chose, mais quoi ?

Leur première action a consisté à se procurer les cartons nécessaires à la confection de slogans :
« Fin aux suicides » … « Que d’autres Saliha ne meurent pas ». Elles divulguèrent ensuite le lieu et la date de leur manifestation à la rédaction de quelques organes locaux. Elles se réunirent le dimanche suivant, sans avoir prévenu personne de leur entourage ou du quartier. Pancartes et slogans bien haut brandis, elles se sont mises en route, silencieusement, en direction du cimetière où repose Saliha. Sur sa tombe, elles lirent la Fatiha : avant d’avoir pu lire le texte qu’elles avaient préparé, elles furent dispersées. D’après elles, ce ne devait être une action nationale :il aurait suffi que Batman en entende parler.

Un écho plus que national

Le jour même, l’information devait remonter les canaux des principales agences d’information jusqu’aux rédactions du pays. Et c’est toute la Turquie qui apprit alors que neuf courageuses jeunes filles avaient défilé à Batman pour défendre la vie. Et outre la presse locale de Batman, ce furent les journaux, les revues et les télévisions de Turquie, puis les organes de la presse internationale comme la BBC et le Spiegel qui décidèrent de s’intéresser à ces neufs adolescentes. Chacun souhaitant les connaître de plus près, les interviewer.

Il y a deux jours, elles ont entamé leur journée par une déposition au poste de police. La police chargée de l’enquête sur le suicide de Saliha, avait souhaité recueillir les éventuelles informations de celles que les journaux présentaient comme les amies de Saliha. Or elles ne connaissaient pas Saliha de si près. Cette action, elles l’avaient organisée pour toutes celles qui se sont suicidées et indépendamment de tout souci personnel. Après la police, ce fut au tour de la direction départementale de l’éducation nationale de les convoquer. Le directeur se chargea de les féliciter. Le soutien vint aussi des personnes qu’elles croisèrent dans la rue, des femmes du quartier et de leurs familles. Certaines femmes croisées ici ou là prétendirent même que si elles avaient été prévenues plus tôt, elles auraient rejoint les neuf adolescentes.

« Pourquoi la mort est-elle devenue un recours ? »

Les neuf jeunes filles que nous avons rencontrées au Centre Selis d’Information pour les femmes sont satisfaites des retombées de leur action. Satisfaites et surprises en même temps. Précisant bien qu’elles ne subissaient pas de pression de la part de leurs familles, elles déclarent : « Nous, nous sommes tranquilles. Mais des personnes de notre âge meurent du fait de cette oppression. Nous avons voulu toucher, émouvoir la conscience de tout un chacun face à une telle réalité. »

Elles ont toutes des rêves plein la tête. Certaines veulent devenir avocates ; d’autres psychologues en milieu carcéral. D’autres encore, journalistes ou professeurs. Elles sont toutes conscientes de la réalité vécue par les femmes à Batman. Des pressions familiale et sociale…

Ferda Uğurlu a 20 ans. Elle est diplômée du lycée d’enseignement général de Batman. Elle connaît l’Allemand et l’Anglais, se prépare à l’Université. « Nous avons voulu agir pour Batman. Il n’y avait aucune intention de s’adresser à la Turquie tout entière. Mais tout le monde nous a entendu. Nous avons souhaité que tout le monde se mette à réagir et que l’on fasse la lumière sur ces suicides. Pour les filles de Batman, la mort est devenue une solution. Le suicide est devenue un recours habituel. Si seulement les gens pouvaient réagir sans qu’il y ait de suicide ! »

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