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L’UE, objectif nécessaire mais non suffisant pour les Kurdes (1)

lundi 15 mai 2006, par Neşe Düzel

© Turquie Européenne pour la traduction

© Radikal, le 17/04/2006

Alors que la question kurde revient sur le devant de la scène politique turque, Neşe Düzel est allée prendre le pouls de la société civile kurde en interviewant Ahmet Türk, l’un des principaux leaders politiques kurdes.

- Pourquoi Ahmet Türk ?

Il y a peu dans les colonnes du journal Sabah, Mahmut Övür annonçait dans le cadre de son éditorial la tenue prochaine d’une conférence, intitulée « que veulent les Kurdes ? ». Nous vivons en effet une période étrange où les kurdes eux-mêmes ont besoin de conférences pour déterminer ce qu’ils souhaitent vraiment. La violence, les affrontements et les explosions de bombes se multiplient. Alors que la Turquie a commencé ses négociations avec l’UE et qu’elle a commencé de faire des pas en direction de la démocratisation en avançant dans ce processus, la montée de ces phénomènes violents correspond à un phénomène que nous ne comprenons pas. Nombreux sont ceux qui y voient les efforts conjoints de ceux qui s’opposent à l’entrée de la Turquie dans l’UE.

C’est avec Ahmet Türk que nous avons abordé la question de ce regain de violence et des moyens de la prévenir, des pensées des Kurdes comme de leurs visions de l’UE ; Ahmet Türk est coprésident du Parti pour une Société Démocratique (DTP) ; parti qui a été, ces derniers temps, vertement critiqué par le premier ministre Recep Tayyip Erdogan pour n’avoir pas critiqué le PKK (parti séparatiste partisan de la lutte armée).
Deux fois députés avant 1980 sous les couleurs du CHP (Parti Républicain du Peuple, gauche kémaliste), emprisonné après le 12 septembre (dernier coup d’Etat) dans la prison de Diyarbakir (elle fut à cette époque le lieu de traitements inhumains et d’une torture généralisée dont les survivants ont depuis témoigné. Sa fermeture en 1983-1984 correspond aux premières actions du PKK. Les auteurs de tels crimes n’ont pas encore été jugés), on lui retira la députation en 1994 avec les autres députés kurdes du DEP (Parti Démocrate, pro-kurde) et il retourna 22 mois en prison.


- Vous êtes un politicien kurde. Vous êtes même le président d’un parti politique insistant sur le fait kurde. Quant à nous, nous éprouvons quelques difficultés à comprendre ce qui se passe depuis peu dans le Sud-Est de la Turquie, ce que l’on y cherche. Quel est le but de la multiplication de ces affrontements et des ces bombes soudaines ?

En 1999 un cessez-le-feu a été décidé et observé. Une décision de non recours à l’action violente a été prise. Mais jusqu’en 2004, on a approché ce problème comme s’il était clos. Pendant 5 ans, les dimensions sociales, économiques, psychologiques et démocratiques du problème n’ont fait l’objet d’aucun débat. Aucun projet démocratique n’a été avancé.

- D’après vous, le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE n’est pas un projet suffisamment démocratique ? Si vous vous souvenez, la date à laquelle le PKK a décidé de reprendre la lutte armée correspond à l’année 2004 durant laquelle la Turquie s’est mise en route sur le chemin de l’Europe, où elle a initié des réformes importantes en ce qui concerne les droits individuels et culturels, où elle a obtenu une date pour le début de ses négociations d’adhésion. Pourquoi une telle coïncidence ?

De 1999 à 2004, la question kurde n’a pas cessé d’être considérée comme une question d’ordre public. Les dimensions qui auraient permis d’intéresser le peuple ou de l’approcher en douceur ont été oubliées. En outre, les modifications juridiques opérées par la Turquie dans son processus de mise en conformité avec les principes européens, n’ont pas été intériorisées, ne sont pas rentrées dans la pratique. Dans le Sud-Est, le contexte est très sensible. Pour lever cette hypothèque, panser les plaies héritées du passé, et ne pas revivre les mêmes douleurs, c’est d’un véritable projet démocratique dont nous avons besoin. Ne considérer ce problème que comme une question de sécurité, vouloir ne le régler que par les armes n’est pas juste.
Il n’est pas non plus juste de croire que le processus d’adhésion à l’UE va tout régler.
Il faut permettre l’établissement d’un environnement qui fasse déposer ses armes au PKK. Il faut pratiquer une ouverture telle que les gens, lorsque le PKK décidera de recourir aux armes, soient en mesure de lui demander ce qu’il fait : « que fais-tu donc après ces tous ces développements positifs ? C’est à nous que tu portes atteinte en recourant à la lutte armée. » Nous devons en parvenir à ce point-là.

- D’ailleurs, les organisations kurdes de la région ont déjà commencé de montrer de telles réactions. Vous, vous êtes un politicien. Quelles sont les conséquences de ces affrontements sur vous et votre parti ?

Elles sont négatives. Nous, nous souhaitons dégager l’espace nécessaire à la pratique de politiques démocratiques.
Sans contexte démocratique, nous ne pouvons être convaincants sur les projets que nous voulons mener à bien. Lorsque parlent les armes, ce sont les sentiments qui passent devant la raison. Tant que l’on entend le bruit des armes, vous ne pouvez convaincre personne du bien fondé de la position selon laquelle il convient de régler la question kurde démocratiquement dans le cadre de la République de Turquie.

- Dans le Sud-Est, existe une réalité du PKK. Comment pèse-t-elle sur la politique civile ?

La base sur laquelle je m’appuie dans le cadre de mon activité politique est aussi d’une certaine façon la base sur laquelle s’appuie le PKK. La majorité des gens qui m’accordent leurs votes ont tous des connaissances voire un proche qui est mort ou qui court toujours dans les montagnes. Ce sont des gens qui ont été victimes de crimes inexpliqués ou dont le village a été brûlé. Qu’il n’en ressorte pas que nous poursuivons la même politique que le PKK mais les bases sur lesquelles nous nous appuyons se recoupent fortement.

- Toute organisation tentant de jouer un rôle politique en se servant des armes est dangereuse. Le PKK est une organisation armée. L’existence d’une organisation armée met-elle en péril une « politique kurde » ?

Non et pourquoi le ferait-elle ? Et puis il ne me revient pas de juger si elle constitue ou non une menace pour la vie politique kurde. Mai je tiens donner mon avis en toute franchise. La solution à la question kurde passe par une voie démocratique. Et moi je dis : « venez donc, dégageons les perspectives de cette voie démocratique, fondons un environnement, un contexte favorable au dialogue.
Si vous êtes en mesure de constituer des projets susceptibles de dégager un champ d’action démocratique, vous éloignerez d’autant le risque de voir la violence représenter une menace. Il nous faut administrer la preuve de l’inutilité de l’existence d’une organisation armée. Le PKK doit déposer les armes ; l’Etat de son côté doit lancer une initiative dans le sens d’un projet démocratique.

- Les leaders de certaines organisations et partis kurdes souhaitent que le PKK dépose les armes sans condition. Votre proposition ne consiste-t-elle pas un dépôt des armes soumis à condition ?

Le problème ici, c’est celui de la capacité de convaincre. Sans aucune préparation du terrain, lancer un appel au dépôt des armes n’a pratiquement aucun sens. Vous ne pouvez pas convaincre le PKK de cette manière. Si demain le PKK nous dit : « très bien, je suis prêt à déposer les armes. Maintenant, vais-je rester en prison pendant 30 ans ? Serais-je jugé avec le risque d’être condamné à mort ? Ou bien pourrais-je vivre comme n’importe quel citoyen, tranquillement avec ma famille, pourrais-je me livrer tranquillement à l’action politique. Par le passé, nous avons envoyé deux groupes pour la paix. Et ils ont tous été jetés en prison pour 15 ou 20 ans. »

Comparé aux personnes auxquelles vous faites référence, personnellement je suis encore plus attaché à la possibilité que le PKK abandonne la voie des armes. Mais il convient aussi d’aborder la question d’un point de vue réaliste et pratique.

- Ne doit-on pas exiger d’une organisation terroriste qu’avant toute chose, elle dépose les armes ?

Aujourd’hui dans les montagnes, on compte 5 à 6 000 partisans. Si l’objectif reste de réintégrer ses personnes à la société, nous nous devons de préparer le terrain. Nulle part au monde, personne n’a déposé les armes sans des contacts préliminaires, sans avoir préparé le contexte. Il en est ainsi de l’ETA. De l’IRA également. Ce sont des opérations qui seront impérativement travaillées en amont. Et nous ne disons pas autre chose « préparons donc le terrain à ce désarmement. »

- Quelle est votre proposition ? Une amnistie générale ?

Nous avons maintes fois précisé que pour nous, une solution à la question kurde ne saurait trouver de place que dans le cadre unitaire de l’Etat turc.
Que veut-on ? Dans un premier temps, les demandes culturelles et identitaires. C’est-à-dire l’acceptation des possibilités d’expression des identités et des cultures différentes à la condition qu’elles puissent cohabiter. Dans un second temps, le vote d’une amnistie générale qui permettrait de réintégrer à la société tous les gens qui sont encore dans les montagnes.

[...] (à suivre)


- Pour aller plus loin :

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OSMAN BAYDEMIR - Nouvelle donne ?

© Courrier International -d’après Tempo et Sabah- 20/04/ 2006

Il est le maire de Diyarbakir, la grande ville kurde du Sud-Est anatolien où ont récemment éclaté des émeutes menées par les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK. A cette occasion, il est descendu dans la rue pour tenter de calmer le jeu. Cet acte lui vaut d’être accusé de collusion avec les émeutiers ; une procédure judiciaire vient d’être lancée contre lui.

Osman Baydemir incarne pourtant une nouvelle génération de militants kurdes en Turquie. Agé d’à peine 35 ans, ce juriste né à Diyarbakir a fait ses classes à l’Association des droits de l’homme, avant de s’engager au sein du parti prokurde DTP (Parti de la Turquie démocratique). Elu avec un score-fleuve en 2004, ce jeune maire d’apparence moderne maîtrisant l’anglais - il est allé l’apprendre aux Etats-Unis - peut être considéré comme une sorte de « porte-parole des Kurdes de Turquie ». Ses prises de position font régulièrement scandale. Il n’a ainsi pas hésité à défendre la télévision kurde Roj TV, que la Turquie veut faire interdire parce qu’elle émet depuis l’Europe des programmes favorables à la guérilla kurde du PKK. Il s’est également inquiété du sort réservé à Abdullah Öcalan, le chef emprisonné du PKK, considéré comme un terroriste. Il a aussi remis en question la mixité historique turco-kurde. Selon certains éditorialistes de la presse turque, ces faits sont la preuve qu’Osman Baydemir est en réalité un séparatiste qui, malgré son style policé, ne représente pas une rupture avec la tradition politique violente du PKK.

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