Abdullah Gül, le vice premier ministre turc aux USA. Puis le Chef d’Etat-major, le général Büyükanit. Des élections en vue et une situation qui empire en Irak. Le statut de la ville pétrolière de Kirkouk en suspens : tombera ou tombera pas dans l’escarcelle des Kurdes ?
Un gros volume d’échanges entre la Turquie et l’Irak du Nord. Une relative mais inquiète stabilité dans le Sud-Est de l’Anatolie.
Ankara se trouve à la veille d’arbitrages délicats qui requerront imagination et courage politiques.
Les relations turco-kurdes obéissent à des schémas pourtant très simples : la ligne de fracture est la même que celle observée sur tous les grands débats nationaux en Turquie.
Contre toute relation diplomatique avec le gouvernement régional kurde (GRK) et pour une intervention militaire contre les bases du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan menant une guérilla contre Ankara depuis 1984), on retrouve :
- Le Président turc Ahmet Necdet Sezer
- Le CHP (Parti Républicain du Peuple, gauche nationaliste), le MHP (Parti du Mouvement Nationaliste, extrême droite), le BBP (Parti de la Grande Unité, extrême droite)…
- Le Chef de l’Etat-major interarmées, le Général Yasar Büyükanit
- Le Front Turkmène Irakien
- Le PKK
Pour l’établissement de bonnes relations :
- Le gouvernement kurde (GRK dirigé par les Barzanî)
- Le gouvernement AKP (au pouvoir en Turquie aujourd’hui), plus ou moins (certains députés sont un peu incohérents)
- Les Américains
- Les Turkmènes du Kurdistan
- Les démocrates turcs
- Les entreprises turques
- L’Union Européenne
Le plus amusant, c’est peut-être de voir le PKK mentionné comme une terrible menace pour la sécurité nationale. Le fait qu’il soit à peu près silencieux depuis son cessez le feu d’octobre dernier et qu’il vienne d’être décapité dans sa structure européenne n’a pas l’air de changer la donne. On en revient à l’éternelle constatation : une certaine classe du pouvoir en Turquie a besoin d’ennemis...
Le gouvernement kurde a interdit au PKK d’organiser une manifestation à Erbil (Irak) pour demander la libération d’Öcalan, son chef incarcéré sur l’île d’Imrali en mer de Marmara (comme tous les ans à la même époque).
Cela devrait être considéré comme un signe de bonne volonté par Ankara, tout comme la fermeture de bureaux du PKK à Erbil et Kirkouk.
Et c’est bien ce que fait le premier ministre turc, Erdogan... De bonnes relations avec la Turquie sont vitales pour le Kurdistan, et les Kurdes du Sud le savent. De bonnes relations seront aussi profitables pour les Kurdes du nord, mais on considère encore dans les cercles nationalistes qu’un Kurdistan reconnu agira comme une incitation séparatiste au Kurdistan Turc : « Big news » comme dirait l’autre, les Kurdes de Turquie n’ont pas attendu 2003 pour être tentés par le séparatisme...
Erdogan joue gros en cette année d’élections. Il peut choisir de parier sur le désir de normalisation et de démocratisation, ou tomber dans la facilité du nationalisme cocardier en essayant de voler des voix au CHP et au MHP. Il semble pencher pour la première solution, mais ne fait pas l’unanimité dans son propre parti (dans lequel se trouvent d’anciens membres d’autres partis) ; il dresse contre lui une grande partie de l’establishment....
Pendant ce temps-là au Nord de l’Irak…
Le représentant des Turkmènes irakiens au parlement kurde est probablement un traître à sa race qui ferait mieux « d’aimer » un peu plus si il ne veut pas avoir à « foutre le camp » vite fait bien fait. Toujours est-il que contrairement aux pleurnicheries du Front Turkmène Irakien, autoproclamé leader du peuple Turkmène (de 300 à 800 000 personnes selon la police, de 2 à 5 millions selon eux, plus si la discussion s’enflamme), M. Altiparmak (six doigts !) appelle Ankara à cesser de dire des c... et à ouvrir une représentation dans la région kurde irakienne.
Or pour Ankara, ouvrir une représentation officielle à Erbil (comme l’Iran par exemple) équivaudrait à reconnaître l’existence de la région du Kurdistan Irakien. Inacceptable. Officiellement il y a un Irak du Nord, des nord-Irakiens, dont la population, manipulée par le PKK, refuse la protection bienveillante du grand frère turc. Ce qui, depuis environ 3 ans, devrait changer incessamment sous peu.
Altiparmak, quant à lui, reconnaît l’existence du Kurdistan, et ose dire que le fédéralisme ne signifie pas la division. Il appelle Ankara à arrêter de gesticuler et à établir de bons rapports avec l’administration kurde. Disons le tout net, il serait en cela soutenu par les entreprises turques qui investissent là-bas, les Kurdes de Turquie qui commercent et trafiquent avec leurs frères du sud, bref un peu tout le monde, sauf les excités qui continuent à croire à une intervention militaire turque :
« The Shiites have no intention of giving anyone any rights. They won’t give any rights to their brothers the Sunni Arabs or anyone else. We saw how we were treated by the Sunnis and the Shiite Arabs. There are only the Kurds we can live with. Only they have a positive approach towards the Turkmens. They give Turkmens their rights. We have two Turkmens in the Kurdistan regional government and four deputies in the regional parliament. If Kirkuk becomes a part of the Kurdistan region then the Turkmen population of the region will increase and we will be the largest minority in northern Iraq. With the help of our Kurdish brother, we could enhance our representation in the Baghdad government and the Iraqi parliament."
C’est parler pour l’intérêt des Turkmènes (il est même en faveur du référendum sur la question de la ville de Kirkouk ! Doit-elle dépendre de l’Etat fédéral ou du GRK), mais pas dans celui de certains cercles à Ankara...
Des Turcs qui disent qu’ils sont tous Arméniens, des Turkmènes qui font ami ami avec les Kurdes... Il va falloir un certain nombre de Ogün Samast (assassin de Hrant Dink) pour recadrer tout ce petit monde...