Le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a dévoilé un projet d’investissement pour le sud-est de 20 milliards de dollars.
Recep Tayyip Erdogan a voulu faire les choses en grand. C’est avec 12 ministres et 50 de ses députés originaires de la région du sud-est qu’il a dévoilé, mardi à Diyarbakir, les grandes lignes de son projet de « restauration sociale ». Sous haute protection policière, le premier ministre turc a confirmé vouloir finaliser le projet d’irrigation et de production d’électricité GAP (projet du sud anatolien).
Ce projet faramineux, lancé en 1981, prévoyait à l’origine la construction de 22barrages et de 19 centrales hydroélectriques, sur le Tigre et l’Euphrate, dans une région à majorité kurde, troublée depuis par quinze ans de guerre. Or, par manque de financement, le GAP n’a jamais atteint ses objectifs. Certes, il fournit 48% de l’hydroélectricité du pays, mais seules 14% des terres visées sont aujourd’hui irriguées.
« Projet salvateur »
C’est donc en grande pompe que Recep Tayyip Erdogan a promis de finaliser ce projet d’ici à 2012. Sur cinq ans, 11,6 milliards de dollars devraient être investis et financés par l’Etat. Dix milliards supplémentaires, hors budget de l’Etat, ont également été annoncés. L’essentiel de ces fonds sera alloué aux projets d’irrigation et à la construction et la finalisation de cinq barrages.
« Ce que nous annonçons n’est pas un simple rapport, mais une action financée et au calendrier défini qui permettra d’enrayer le chômage et les migrations, les différences économiques et sociales de nos régions », a lancé le premier ministre devant une salle de sport bondée. « Ce projet doit être vu comme un projet salvateur, un projet de restauration sociale qui permettra d’améliorer l’unité et l’intégrité du pays. » Les chiffres révélés par le gouvernement font frémir. La finalisation du GAP devrait officiellement faire accroître de 209% le revenu par habitant de la région et créer 3,8 millions d’emplois, des chiffres accueillis avec scepticisme par de nombreux observateurs.
En se déplaçant à Diyarbakir, Recep Tayyip Erdogan a voulu reprendre la main dans cette région à majorité kurde, la plus pauvre du pays, où son parti, l’AKP, a raflé plus de 70 députés lors des élections de juillet dernier. Or, les interventions militaires répétées contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en territoire turc et irakien, de même que le procès en dissolution ouvert contre son parti islamiste modéré, ont ébranlé cette domination. A moins d’un an des élections municipales, il s’est donc voulu en pointe sur la question kurde, confirmant même la création d’une chaîne de télévision publique en langue kurde. « Lorsque le plein-emploi et la liberté se renforcent, l’organisation terroriste [du PKK] perd », a-t-il asséné devant la foule.
Scepticisme kurde
Les grands absents de cette grand-messe étaient les représentants du Parti pour une société démocratique (DTP, pro-kurde) et notamment le maire de Diyarbakir, Osman Baydemir. Lui qui regrette régulièrement de n’être jamais invité par les autorités d’Ankara a décliné l’invitation, pour ne pas participer à un « hold-up électoraliste ». Emine Ayna, la présidente du DTP, a de son côté minimisé l’annonce gouvernementale. « Votre paquet ne sert à rien. Le peuple de Diyarbakir et les Kurdes en sont rassasiés. » Pour le DTP, les racines du problème kurde ne sont pas économiques mais culturelles et politiques. Il a ainsi de nouveau appelé à un arrêt des opérations contre le PKK.
L’éditorialiste Mehmet Ali Birand met lui aussi en garde contre de telles annonces. « Les promesses ne suffisent plus. Nos citoyens d’origine kurde veulent protéger leur langue, conserver leur culture et avoir leur part du gâteau. Nous verrons si le gouvernement tient sa promesse. » Et d’ajouter que, si la moitié du budget alloué à la lutte contre le PKK avait été utilisée pour l’emploi, « nous serions face à une situation très différente dans le sud-est ».
La Syrie et l’Irak regardent eux aussi avec inquiétude la multiplication de barrages sur le Tigre et l’Euphrate car, à terme, le GAP devrait réduire le débit de l’Euphrate de 40% pour la Syrie et de 90% pour l’Irak. En début de semaine, Bagdad a demandé à Ankara d’augmenter le débit pour contrer la sécheresse.