Les Alévis vivant le trauma du massacre de Dersim (1938), les Kurdes opprimés depuis des années, et les Turcs victimes du terrorisme, ont-ils vu leurs plaies se refermer, leurs souffrances s’apaiser ?
Ça, c’est un rêve.
Si un jour, le premier ministre de ce pays se rendait à Erevan et allait fleurir la tombe de ceux qui ont succombé à la déportation de 1915...
Si lors d’un repas donné en son honneur à la citadelle depuis laquelle on aperçoit le Mont Ararat, il évoquait et qu’ils parlaient, avec son homologue arménien, des « souffrances communes »...
S’il commençait son discours en saluant les invités, à la fois en turc et en arménien... S’il rappelait que les relations entre les deux pays sont un héritage douloureux et qu’il est impossible de nier le poids de l’histoire...
« Ah ! si seulement cela avait été différent ou si cela ne s’était pas passé, mais je le dis avec peine, cela s’est passé... »
S’il ne parlait pas seulement des souffrances mais aussi des rêves communs... S’il disait que sa visite rappelait autant le tumulte du passé entre les deux nations que l’importance de la tolérance et de la recherche du compromis... « En envisageant l’avenir depuis les perspectives offertes par le passé, personne n’aurait pu même imaginer la force des liens existant aujourd’hui entre nos peuples et nos gouvernements... »
S’il précisait de manière équitable les souffrances, les bouleversements profonds et les grandes pertes subis par les deux peuples... S’il disait que ces expériences douloureuses ont affecté tout le monde, qu’on n’oublierait jamais ni les morts, ni les blessés...
S’il déclarait qu’il « partage de tout cœur la douleur de tous ceux qui ont souffert et souffrent encore de ce lourd passé » et que nous « sommes profondément désolés pour tous ceux que vous avez perdus, que nous avons perdus, pour vos souffrances, pour les nôtres, et pour tous les événements qui ont été vécus »...
S’il soulignait que les valeurs communes aux deux peuples, que les liens qui les unissent sur les plans historique, économique et culturel, les mèneront vers un partenariat entre pairs et une indéfectible amitié, bien au-delà du simple voisinage...
Et si le premier ministre arménien accueillait cette rencontre historique, sans périphrase, mais avec la même chaleur... S’il déclarait que la visite de son homologue turc était le sommet du succès du processus de paix et « qu’aujourd’hui, nous célébrons un nouveau chapitre de nos relations »...
Est-ce trop utopique ?
Et alors ? Que dit l’AKP dans les messages électoraux qu’il fait diffuser dans la presse : « C’était un rêve, c’est devenu la réalité. »
Par exemple, hier : « Les handicapés avaient des rêves... Ils se sont réalisés. » Les ouvriers, les malades et les payans ont des rêves, et « ceux dont les blessures ne se referment jamais » pourquoi ne le pourraient-ils pas ?
Les alévis vivant avec la trauma du massacre de Dersim (1938), les Kurdes opprimés depuis des années, et les Turcs victimes du terrorisme, ont-ils vu leurs plaies se refermer ?
Leur a-t-on dit : « Nous sommes profondément attristés de ce que vous avez vécu, votre souffrance est la nôtre. »
La reine d’Angletrre, Elisabeth II est en Irlande depuis quelques jours.
Ce n’est pas une visite banale que celle-ci...
C’est la première fois depuis que l’Irlande a acquis, il y a de cela cent ans, son indépendance face à l’Angleterre, qu’une visite de ce niveau est organisée.
La reine a rendu hommage à ceux qui avaient perdu la vie lors de la guerre d’indépendance en allant déposer une gerbe de fleurs sur leurs tombes. Qui a tué les Irlandais au cours de cette guerre sanglante ? Les Anglais, sous les ordres du père de la reine.
Elle ne s’est pas rendue qu’au jardin du souvenir d’ailleurs mais aussi au stade de Corke Park... Ce stade dans lequel les Anglais ont ouvert le feu sur la foule venue suivre un match. Ce stade où ils tuèrent impitoyablement des civiles venus voir un match.
Et son premier ministre à ses côtés, elle s’est rendue partout sur les traces d’un passé rempli de souffrances. Elle a touché à sa propre souffrance également. N’oubliez pas qu’en plus de milliers d’Anglais, l’IRA, un temps considérée comme organisation terroriste, a assassiné l’un de ses plus proches cousins.
Mais sans prêter attention à ce que les plaies étaient refermées ou non, elle a touché toutes les plaies, les unes après les autres.
C’est cette visite qui m’a fait faire le rêve de la Turquie et de l’Arménie. Et il est certain que ce que nous avons vécu n’est pas identique à ce qu’ont vécu l’Irlande et l’Angleterre...
Et ce n’est sans doute pas nécessaire...
Quand bien même les plaies ne seraient pas les mêmes, elles se referment de la même façon, en partageant les peines.
Quand le haine s’alimente du déni, les souffrances ne s’amenuisent qu’en les partageant...
J’ai personnellement trouvé intéressantes les annonces électorales de l’AKP bardées du slogan : « C’était un rêve, c’est la réalité. »
Est-ce qu’un jour le premier ministre de ce pays fera imprimer des annonces disant : « Ceux qui souffrent avaient des rêves... Ils se sont réalisés ? »
Kurde, Arménien, Alévi, Turc, peu importe, applique-t-on le baume du cœur à la plaie béante ?
Ça, c’est un rêve...