« L’avènement d’une Europe aux religions multiples pourrait montrer avec force que le conflit des civilisations n’est pas le destin inéluctable du genre humain » : neuf personnalités politiques européennes ont avancé cet argument, lundi 6 septembre à Bruxelles, pour prôner l’entrée de la Turquie, pays musulman, dans l’Union européenne.
Ces neuf personnalités, qui souhaitent « contribuer à l’émergence d’un débat plus rationnel » sur l’identité européenne, viennent de pays et d’horizons politiques différents. Parmi elles figurent notamment trois députés européens - Michel Rocard, socialiste, ancien premier ministre français, Bronislaw Geremek, libéral, ancien dissident et ministre des affaires étrangères de Pologne, et Emma Bonino, radicale italienne, ancienne commissaire.
L’ancien président social-démocrate de la Finlande, Marti Ahtisaari, a présidé leurs travaux, qui ont obtenu le soutien financier du British Council, institution publique financée par le gouvernement britannique, partisan de l’adhésion turque, et de l’Open Society Institute, fondation privée du milliardaire George Soros.
Pour ces personnalités, l’adhésion de la Turquie démontrerait le caractère « tolérant » de l’Europe, qui n’apparaîtrait plus comme un « club chrétien fermé ». Elle prouverait que l’islam et la démocratie sont « compatibles ». « En proposant un modèle alternatif à la société intolérante, sectaire et fermée sur elle-même que prônent les islamistes radicaux, l’Europe pourrait jouer un rôle majeur dans les relations entre l’Occident et le monde islamique », affirment-elles. La présence de la Turquie dans l’Union « augmenterait l’influence de celle-ci au Moyen-Orient, influence qui pourrait être utilisée pour pacifier et stabiliser cette région ». A contrario, l’échec du processus pourrait susciter une « grave crise d’identité en Turquie ».
SAINT-PAUL ET L’ANATOLIE
Les signataires rejettent les arguments invoqués pour dénier à la Turquie une légitimité européenne : certes, ce pays se trouve « sur la ligne qui sépare l’Asie et l’Europe ». Mais « l’Anatolie, région qui constitue aujourd’hui encore le cœur de la Turquie », et où « saint Paul fit son premier voyage de missionnaire, portant la chrétienté au-delà des frontières du judaïsme », a été « l’un des berceaux de la civilisation européenne », rappellent-ils. Ils soulignent qu’« en cela, le cas de la Turquie diffère de celui des pays d’Afrique du Nord ».
Ces personnalités écartent l’argument selon lequel l’adhésion de la Turquie bloquerait l’intégration politique européenne au profit d’une vaste zone de libre-échange : « En dépit de sa taille, il est improbable que l’adhésion de la Turquie modifie de manière fondamentale le fonctionnement des institutions », affirment-elles, en soulignant que « le processus décisionnel est fondé sur des alliances qui ne cessent de fluctuer », que « l’influence politique des Etats membres dépend au moins autant de leur puissance économique que de leur taille ou de leur poids démographique ».
Ces personnalités estiment que les gouvernements européens devront suivre les recommandations que formulera la Commission dans le rapport qu’elle remettra le 6 octobre. Si elle juge que la Turquie remplit suffisamment les critères politiques requis, en matière de droits de l’homme et d’économie de marché, pour que des négociations d’adhésion soient ouvertes, ils devront l’accepter. « Tout nouvel ajournement affaiblirait la crédibilité de l’Union européenne et serait perçu comme une violation du principe selon lequel les accords doivent être respectés », a insisté Michel Rocard, en présentant le titre de leur ouvrage collectif La Turquie dans l’Europe : plus qu’une promesse ?