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INTERVENTION DE DOMINIQUE VOYNET AU SÉNAT, LE 21 DÉCEMBRE 2004

Les Négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE

mardi 13 septembre 2005

Texte de l’intervention de Dominique Voynet, sénatrice Verte de la Seine-Saint-Denis le 21 décembre 2004 lors du débat suivant la déclaration du gouvernement au Sénat sur la Turquie

Monsieur le Président, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, Mesdames, Messieurs,

Le récent accord entre l’Union Européenne et la Turquie à propos de l’ouverture des négociations d’adhésion de ce pays nous offre l’occasion d’un débat certes tardif - je partage à cet égard l’analyse de Jean-Pierre Bel ; je crois utile avec lui de réinterroger la façon dont le Parlement est, ou plutôt n’est pas, associé à la définition des grandes orientations de notre pays en matière de relations internationales - mais néanmoins utile.

Je me réjouis donc de la tenue de ce débat au moment où le président de la République, en salutaire continuité avec nos options diplomatiques antérieures, vient de confirmer les engagements pris en toute conscience par la quasi-totalité des chefs d’Etat français depuis le Général de Gaulle à l’égard de la Turquie.

Le débat a d’ores et déjà mis en évidence bien des tartufferies politiques, les prétextes succédant aux prétextes, la mauvaise foi le disputant aux arguments les plus spécieux.

Afin de ne pas provoquer ici de polémiques, je n’évoquerai pas les arrière-pensées religieuses ou ethniques qui contribuent, quand elles n’affichent pas explicitement cet objectif, à polluer le débat sur l’adoption du traité constitutionnel européen.

Je note qu’on s’est replongé dans les manuels de géographie : On n’a trouvé dans aucun d’entre eux, même les plus classiques, l’indication formelle que la frontière naturelle, tectonique, géologique ou climatique de l’Europe passerait entre Galatasaray et Fenerbace, dont les clubs jouent sans contestation en Ligue des Champions.

Je note qu’on a consulté les plus doctes historiens et qu’on n’a rien trouvé non plus de probant, même et surtout quand on est remonté un peu loin en arrière, qui puisse, par le constat d’une extraordinaire différence de civilisations, justifier qu’on traite la Turquie différemment de Chypre située bien plus au Sud, ou de la Bulgarie et de la Roumanie.

S’agissant du génocide arménien et de la question kurde, points sur lesquels la Turquie doit évidemment reconnaître ses lourdes responsabilités historiques, on s’est trouvé bien embarrassé par le fait qu’il n’y a pas aujourd’hui de plus chauds partisans de l’adhésion que les communautés minoritaires : elles y voient à juste titre une garantie pour une prise en compte définitive de leur identité.

S’agissant même de l’actuelle partition de Chypre, l’occasion d’un récent référendum nous a amenés à un peu plus de retenue : si l’occupation militaire turque d’une partie de l’île est totalement inacceptable, les sectarismes et les refus d’une solution négociée paraissent hélas bien partagés.

Enfin, l’examen des 80 dernières années en matière de droit de vote des femmes ou de laïcité a lui-même parfois tourné à la confusion des « turco sceptiques » qui ont dû se rappeler aussi que ce pays siége au Conseil de l’Europe depuis presque soixante ans.

L’Union Européenne a pris, en ouvrant ces négociations et en fixant des conditions globalement équitables à l’adhésion, une position sage et courageuse que tous les Verts européens ont saluée.

C’est à la Turquie qu’il appartiendra en premier lieu de répondre à ces conditions en apportant à ses propres façons de vivre la démocratie et le droit, les réformes auxquelles d’ailleurs aspire sans nul doute son propre peuple.

Il est normal, comme ce fut le cas pour l’Espagne, le Portugal ou la Grèce des dictatures, que nous accompagnions les avancées du combat démocratique en Turquie de toute notre vigilance.

Mais il conviendra aussi que nos pays ne restent pas passifs et s’impliquent dans la dynamique ainsi ouverte. Pas en listant, comme pour se rassurer, les étapes à franchir, les verrous, les chicanes et les « retour à la case départ », tous ces obstacles conçus pour freiner et peut-être empêcher l’adhésion de la Turquie.

L’ampleur des écarts à réduire, les efforts et les sacrifices que le nouveau pays candidat devra faire en matière économique, sociale ou environnementale, justifient ainsi qu’on donne au processus tous les moyens de réussir.

Moyens budgétaires sans doute : il faudra bien à un moment ou à un autre revenir sur le plafond du 1%, qui handicapera demain la bonne marche d’une l’Europe à vingt cinq et demain vingt sept.

L’aide à l’élargissement n’est pas une charge supplémentaire, elle est un investissement pour l’avenir.

Moyens politiques et diplomatiques dans l’accompagnement du processus : on ne pourra pas toujours, chaque fois qu’une condition est remplie en soulever une autre.

Moyens humains enfin : il serait excellent que dans le cadre de l’Union, nous fassions mieux connaître la Turquie à notre jeunesse et à nos concitoyens. La valorisation de ce que représente la communauté des immigrés turcs et son désenclavement sur notre territoire doivent devenir à cet égard un aspect particulier de la responsabilité française.

Tous ces détours nous ramènent au fond aux seules questions qui vaillent pour ce début du 21e siècle.

Quelle est la nature de l’Europe que nous voulons et quelle doit être sa place dans un monde multipolaire de paix et de stabilité ?

A nos concitoyens qui en doutent largement encore et auxquels reviendra le dernier mot, nous devons expliquer sans relâche qu’il est bon pour tout le monde que les frontières de l’Union intègrent la Turquie.

Et cela pas seulement à partir d’un regard sur le passé, ou d’une analyse de la situation actuelle, mais en essayant de voir ce que seront et l’Europe, et la Turquie dans une quinzaine d’années.

Le projet européen est fortement interpellé par la perspective de l’adhésion de la Turquie.

Comment éluder le fait que la capacité de la Turquie à se moderniser dans le cadre de l’Union constitue potentiellement une façon d’équilibrer les économies et de repenser territorialement le continent, de réguler mieux les phénomènes de délocalisation, de gérer intelligemment les flux de migration et de marchandises.

Comment négliger le fait que le dynamisme démographique des Turcs, loin d’être une menace, constitue une ressource sur le long terme dans un continent qui vieillit ?

L’invention, par notre continent d’une façon pacifique et démocratique de brasser les populations représente ainsi le plus formidable défi d’une mondialisation solidaire réussie. Les peuples du monde entier sont attentifs à l’évolution de ce modèle en construction.

La capacité de l’Union à porter un projet de vivre ensemble dans lequel cohabitent sereinement des croyances ou des non croyances différentes constitue très certainement pour l’avenir un puissant démenti aux prophètes de la « guerre des civilisations ».

Il faut donc cesser d’attiser les peurs qui témoignent au fond de nos propres problèmes d’identité, il est temps de créer de la confiance.

Géopolitiquement par exemple, il ne faut pas laisser sans réponse cet argument qu’en intégrant la Turquie à l’Union, on multiplierait les risques d’affrontement en rapprochant nos frontières d’un Moyen-Orient traversé par les conflits et par la guerre.

C’est l’inverse qui est vrai : on renforcerait cette menace en considérant la Turquie comme une sorte d’état tampon, comme une sorte de marche aux portes de l’Europe qui , l’histoire nous le démontre, deviendrait alors l’enjeu de tous les affrontements.

On augmenterait les facteurs d’instabilité en laissant aux Etats Unis d’Amérique le dangereux monopole d’une présence stratégique dans la région et en étendant de fait à la Turquie le champ possible d’action de la déstabilisation terroriste.

La seule politique de paix réaliste et efficace réside non pas dans une contraction volontaire des frontières de l’Europe, mais dans son implication plus grande avec la Turquie, dans un effort pour la paix, dans la relance d’une capacité de négociation qui fait si cruellement défaut dans cette région à l’heure actuelle.

Monsieur le Président, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, Mesdames, Messieurs,

Je fais partie de celles et ceux qui auraient préféré, il y a quelques années qu’on privilégie l’approfondissement sur l’élargissement.

Mais nos démocraties, et en leur sein certains de ceux qui, curieusement, aujourd’hui demandent une pause, ne l’ont pas entendu ainsi.

La réalité des faits nous impose donc de mener de pair, à partir des mois qui viennent et pour les vingt années à venir, la bataille sur les deux fronts.

Elle nous incite à plus d’Europe et non à moins, elle nous incite à plus de lucidité, plus de créativité et plus de générosité.

Nous sommes donc les uns et les autres les garants en France d’un débat démocratique de qualité.

Nous devons veiller à ce que l’évaluation des avancées et des obstacles s’effectue dans la transparence et non dans la propagande et la déformation des faits.

C’est à ce prix que nous pourrons nous hisser à la hauteur des défis et des enjeux et donner du sens et de l’élan à l’engagement de plusieurs générations d’Européens.

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