La population est fatiguée de la guerre
Le Kongra-Gel, nouvelle appellation du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, a appelé hier à la trêve. Cette initiative ouvre peut-être la voie à une solution négociée du problème kurde en Turquie. La semaine dernière, après une vague d’attentats imputés au PKK qui a secoué la Turquie, le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, avait appelé à la reprise du dialogue.
Diyarbakir - L’annonce faite hier par le Kongra-Gel, nouvelle appellation du PKK, a créé la surprise en Turquie : « Les forces de défense légitimes vont ramener leurs forces armées d’une position active à une position défensive passive », explique le chef rebelle kurde Zübeyir Aydar, dans un communiqué diffusé à la presse depuis Bruxelles. Le texte précise que cette initiative prend effet immédiatement, pour une durée d’un mois, afin « d’ouvrir la voie des négociations ». Le communiqué explique ensuite les motivations de cette décision : « Il est important de montrer que tous, du côté kurde, nous avançons en faisant des pas concrets pour créer les conditions d’une négociation. »
A la lumière des événements qui se sont déroulés ces derniers mois en Turquie, un tel engagement peut surprendre. Depuis le cessez-le-feu décrété unilatéralement en juin 2004, la tension n’a cessé de croître dans le sud-est de la Turquie, surtout depuis le printemps, et tout particulièrement depuis le début de l’été : attaques de trains, enlèvements de fonctionnaires d’Etat et attentats meurtriers visant des sites touristiques ont clairement affiché la volonté qu’avaient les séparatistes kurdes de recourir à nouveau à la violence.
La récente visite à Diyarbakir du premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a été diversement commentée : pour les uns, ce fut un moment historique susceptible de fournir une issue à l’impasse kurde. Pour les autres, juste un coup d’épée dans l’eau. Le premier ministre promettait pourtant « plus de démocratie, plus de droits civils et plus de prospérité ». Mais, dès le lendemain, le gouverneur de la province d’Elazig, dans l’est de la Turquie, échappait de justesse à une tentative d’attentat.
En annonçant hier qu’il renonçait à l’offensive pendant un mois, le PKK vient donc d’opérer un virage spectaculaire, qui s’explique peut-être par les critiques exprimées au sein même du mouvement kurde. Yavuz Binbay, qui a connu la prison et la torture pour son engagement pacifiste en faveur de la cause kurde, est le président du centre de réhabilitation Sohram-Casra accueillant les personnes maltraitées. Il constate l’impasse dans laquelle se retrouve, selon lui, la guérilla : « Si des élections étaient organisées aujourd’hui, les séparatistes et leurs partenaires politiques n’obtiendraient qu’un faible soutien, pronostique-t-il. Pour deux raisons : les Kurdes sont fatigués de la guerre. Et le PKK n’a pas de projet politique. »
Les années de guerre qui, entre 1984 et 1998, ont coûté la vie à des milliers de personnes et conduit à l’évacuation forcée de villages entiers, ont laissé la région exsangue. L’avocat Hasip Kaplan, dont le cabinet stambouliote gère plus de 600 dossiers kurdes soumis à la Cour européenne des droits de l’homme, se plaint de la dégradation des conditions de vie de ses congénères : « Depuis plus de deux ans que le gouvernement AKP est au pouvoir, aucun progrès réel n’a été accompli dans le domaine social », reproche-t-il.
Pour tenter de donner un nouveau souffle à la classe politique kurde, l’ancienne députée Leyla Zana, libérée en juin 2004 après dix années de prison, a créé une structure appelée à devenir un nouveau parti, le Mouvement du peuple démocratique, auquel l’actuel parti majoritaire Dehap apporterait son soutien. Cependant, certains vieux camarades de combat comme l’ancien député Sedat Yurtdas, qui fut l’un des acteurs majeurs de la résistance politique kurde, ont déjà fait savoir qu’ils ne se rallieraient pas. L’ancien député reproche à ce projet « son manque de démocratie interne et un fonctionnement clanique » qui ne correspond plus, selon lui, aux aspirations des Kurdes. Il rappelle au passage l’assassinat, en juin dernier, à Diyarbakir, de son ami Hikmet Fidan, qui aurait été éliminé par le PKK pour avoir refusé de se joindre au mouvement de Leyla Zana : « Les Kurdes sont fatigués de ces comportements, insiste Sedat Yurtas. Ils aspirent désormais à plus de libertés individuelles et n’ont pas besoin qu’on leur dicte leurs actes. »
Les dirigeants du PKK auraient-ils reçu le message ? En tout cas, ils viennent d’entrouvrir une porte. Reste à savoir comment leur offre sera reçue par les militaires turcs qui, depuis des mois, n’attendent qu’un feu vert d’Ankara pour passer à l’offensive au nord de Irak, qui servirait de base de repli à la guérilla. La Turquie s’inquiète également du pouvoir récemment acquis par les Kurdes d’Irak et s’effraie d’une possible contagion des idées fédéralistes qui pourraient remettre au goût du jour le projet d’un Grand Kurdistan.
Selon Sedat Yurtdas, cette crainte est infondée : « Bien sûr que nous avons tous été fiers de voir qu’un Kurde, Jalal Talabani, devenait président de l’Irak. Mais nous savons aussi que l’histoire de nos voisins n’est pas la nôtre. Nous aspirons désormais à trouver notre place ici, en Turquie. Une place de citoyens à part entière ; pas un strapontin pour les individus de deuxième classe. »
Enfin une vie meilleure : à Diyarbakir, c’est ce que chacun répète à sa façon. Hayriye Ascioglu, de l’association de défense des femmes KA-MER, s’inquiète de la misère croissante et du regain de tension enregistrés ces derniers mois : « Depuis que les attentats ont repris, il est à nouveau difficile de se rendre à Mardin ou à Batman. Il faut franchir deux ou trois barrages : cela me rappelle de mauvais souvenirs... » Ces mauvais souvenirs, Hayriye Ascioglu voudrait les oublier : « Je ne veux pas que mes trois enfants connaissent la guerre comme je l’ai connue. »