En un éclair, une centaine de manifestants sortent des sifflets et braquent des lampes de poche sur leurs pancartes, dont les slogans s’éclairent. ” Ni charia, ni coup d’Etat ! “, ” Silence dans les casernes ! “, ” Assez de cauchemars ! Nous en avons déjà eu quatre ! “, en référence aux quatre coups d’Etat militaires perpétrés en Turquie depuis 1960.
Au milieu de la place Taksim, à Istanbul, les nombreux passants étaient restés interloqués. Les Genç Siviller (Jeunes Civils) manifestaient alors, au plus fort de la crise politique entre le gouvernement et l’armée, contre l’intervention du chef d’état-major militaire, Yasar Büyükanit, auteur en avril d’un communiqué menaçant.
” Un acte antidémocratique, digne d’une république bananière “, estimait Muzzafer, un étudiant en philosophie.
Le groupe de jeunes activistes, encore embryonnaire, attire un peu plus de monde à chacune de ses actions. ” La plupart des gens qui manifestent, je ne les connais pas. Nous utilisons Internet pour nous mobiliser “, explique Yildiray Ogur, le dirigeant du mouvement. De petits groupes indépendants se sont formés à Ankara et à Izmir.
Leur point commun, c’est une conception plus ouverte de la démocratie et de la laïcité que ne défendent ni le gouvernement islamo-conservateur, ni les kémalistes.
” Si l’on avait respecté les règles démocratiques, Abdullah Gül aurait dû être élu président, s’exclame Yildiray Ogur. Il n’y a pas d’affrontement entre laïques et islamistes, mais entre démocrates et antidémocrates. “
En quelques semaines, 6 000 personnes ont signé une pétition sur le site Internet des Jeunes civils, parmi lesquels des intellectuels turcs de renom.
Des jeunes d’origines sociales diverses se croisent dans leurs meetings, où se retrouvent une dizaine de jeunes filles strictement voilées. Les Jeunes civils attirent par leur sens de la théâtralisation, en tournant en dérision les symboles politiques et le ” pouvoir gérontocratique “.
Candidate fictive
Le jour de la manifestation anti-AKP qui a rassemblé près d’un million de personnes au pied du mausolée de Mustafa Kemal, à Ankara, le 14 avril, les Jeunes civils se sont retrouvés devant la réplique miniature du monument dans un parc d’attractions d’Istanbul.
Pour la présidence de la République, ils ont proposé une candidate fictive, Aliye Öztürk (” Vraie turque “), ” une jeune femme, voilée, mi-turque mi-kurde, de grand-mère arménienne “. ” Une photographie en négatif des politiciens turcs “, selon Yildiray Ogur.
Militants de gauche, dont le noyau dur est issu du mouvement pacifiste et altermondialiste qui s’est mobilisé contre la guerre en Irak en 2003, les Jeunes civils brocardent le principal parti d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP) et son dirigeant Deniz Baykal, auquel ils reprochent une dérive nationaliste.