Logo de Turquie Européenne
Accueil > Revue de presse > Archives 2008 > 01 - Articles de janvier 2008 > Le « non » n’est pas une réponse à la Turquie

Le « non » n’est pas une réponse à la Turquie

lundi 21 janvier 2008, par Özdem Sanberk

Ces dernières années, des millions de personnes en Turquie, et surtout des jeunes, ont lu quantité de choses sur la demande d’adhésion de leur pays à l’Union européenne.

Ces jeunes Turcs ressemblent aux jeunes Français ou aux jeunes Italiens. Jetez donc un œil à leurs pages personnelles sur Facebook et vous aurez une idée de leurs passe-temps ; bref, de ce qu’est la Turquie d’aujourd’hui. Certains se présentent comme athées, beaucoup se disent musulmans, mais rien à part cela ne les distingue des autres Européens.

Aujourd’hui, ces jeunes Turcs vivent dans le doute. Ils ont l’impression que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel veulent les exclure de l’UE. Et parce qu’ils sont jeunes, ils sont tentés de répondre : « Si vous ne voulez pas de nous, nous ne voulons pas de vous non plus. » Les sondages d’opinion en Turquie enregistrent ces trois dernières années une chute catastrophique du soutien à l’adhésion. Cette désaffection ne tardera pas à se traduire dans la politique de tous les jours.

Ces jeunes voient aussi — et avec eux, la plupart des Turcs — quelque chose de plus personnel dans les déclarations de Nicolas Sarkozy, car ce dernier ne cesse de s’ériger en juge de leur identité, en refusant pour des raisons qui ne veulent pas dire leur nom de les considérer comme européens.

Je partage leur indignation. Je suis turc et je ne laisserai personne me dire que je ne suis pas européen. Je suis turc, mais cette identité se conjugue à bien d’autres. Ma famille est originaire de Janina en Grèce et de Bitola en Macédoine. Je jouis des héritages turc, méditerranéen, balkanique, musulman et européen, de même que d’une éducation turque francophone. Cela me semble tout à fait naturel. Il ne s’agit pas que de moi-même. Il s’agit des dizaines de millions de Turcs comme moi. Qui peut s’arroger le droit quelque part ailleurs en Europe de me dire qui je suis et quels sont mes droits en tant qu’Européen ?

Si la Turquie est exclue du camp européen, elle serait le premier et peut-être le seul pays à l’être. Qui l’UE rejetterait-elle ? Un pays doté d’une histoire ancienne et d’une position clé pour sa sécurité. Mais bien plus que cela encore. La trajectoire turque - l’avènement d’une société ouverte et démocratique et d’une économie dynamique - est un gain remarquable pour l’Europe. Regardez la carte, et imaginez ce que la Méditerranée orientale et l’Europe du Sud-Est seraient si la Turquie était un pays arriéré, condamné à la pauvreté et à l’ignorance ?

Aucun pays n’est parfait, et le processus d’harmonisation avec les valeurs et les acquis de l’UE est loin d’être terminé, mais la transformation est immanquable et, surtout, irréversible. L’UE a fait partie de cette transformation : sans l’aiguillon de l’adhésion, je pense que nous aurions progressé beaucoup plus lentement et que les bénéfices économiques et sociaux de l’ouverture de notre économie se seraient fait davantage attendre.

Dès lors, les messages émis ces dernières années, qui tendent à dire que nous ne sommes pas européens et que l’UE va nous claquer la porte au nez, nous ont fait un choc. Ironie du sort, ces propos sont apparus à un moment où la société turque se métamorphose comme jamais auparavant. Un grand dommage a d’ores et déjà été fait. Comment un gouvernement, quel qu’il soit, pourrait-il continuer à jouir de la confiance de sa population pour poursuivre les changements radicaux que l’adhésion à l’Union implique quelquefois, si l’issue des négociations est « ouverte » et s’il peut en résulter une exclusion humiliante ?

Regardez une fois encore la carte. Voyez la génération montante des Turcs. La Turquie d’aujourd’hui fait partie de l’Europe. L’exclure serait contraire à la nature : ce serait une amputation qui n’est pas nécessaire, ou une automutilation qui causerait du tort aux deux parties dans les années à venir. L’enjeu n’est pas seulement pour aujourd’hui. Mais aussi et surtout pour les générations futures en Europe.

- Özdem Sanberk, ambassadeur turc à la retraite

Télécharger au format PDFTélécharger le texte de l'article au format PDF

Sources

Source : « La Croix » (France), 14 janvier 2008

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0