« Dans les affaires, la Turquie fait déjà partie de l’Europe », assure Gilbert Mittler, directeur financier (CFO) du groupe de bancassurance Fortis. Ce dernier a annoncé, mardi 12 avril, l’acquisition de la septième banque à capitaux privés du pays, la Disbank, pour 985 millions d’euros. « Nous avions ce pays sur notre écran radar : la Turquie a une population jeune et dynamique de 70 millions d’habitants », a-t-il précisé. La Disbank dispose de 173 agences en Turquie. Chiffre qui devrait, sous l’enseigne Fortis, passer à 300, et représenter 5 % du marché intérieur.
Ce rachat est le signe d’un renouveau du paysage bancaire. Depuis la crise financière de 2001, le nombre d’établissements bancaires est passé de 61 à 48, dont 35 banques de détail. Selon les analystes, il pourrait descendre à 25 ou 30. Aujourd’hui, les quatre premières banques représentent 50 % des actifs.
Fortis n’est pas le seul à jeter son dévolu sur ce secteur en Turquie. Quelques groupes européens se sont déjà positionnés : fin 2004, BNP Paribas a acheté 50 % de la Türk Ekonomi Bankasi (TEB), la dixième banque du marché. En 2001, HSBC avait acquis une petite banque en faillite, la Demirbank. Et le numéro deux italien, Unicredito, s’était adossé au puissant conglomérat Koç, propriétaire de la Koçbank. Le même groupe Koç est aujourd’hui bien placé pour mettre la main sur Yapi Kredi, troisième banque privée turque en termes d’actifs et dont la profitabilité peut être nettement améliorée.
« FORTE CROISSANCE »
« Le marché devient intéressant, constatent les responsables de la mission économique française à Ankara. Des banques espagnoles, allemandes ou françaises pourraient encore s’implanter. La Société générale prospecte mais hésite depuis plusieurs années, et le Crédit agricole semble être en discussion sur une banque moyenne... » Intesa, première banque italienne, dont le principal actionnaire est le Crédit agricole (15 %), a également tenté d’acquérir la Garanti Bank.
Tous parient sur l’avenir de la Turquie. L’inflation est en passe d’être maîtrisée et atteignait un taux plancher annuel historique de 7,94 % en mars. Assez peu bancarisée, l’économie est encore à 40 % souterraine, ce qui autorise des perspectives de profits importantes. « C’est un pays jeune, dont l’économie est tirée par la consommation. La forte croissance -9,9 % en 2004- permet de rendre l’investissement plus rentable », souligne M. Mittler. Le groupe belgo-néerlandais mise aussi sur le développement, en Turquie, des produits bancaires, jusqu’ici contrarié par des taux d’intérêt très élevés. « On observe un frémissement du financement des biens d’équipement, notamment dans l’automobile, remarque la mission économique d’Ankara. Le marché hypothécaire va démarrer et les crédits à la consommation marchent bien. »
De plus, le nombre de cartes bancaires a crû de 37 % en 2004, passant de 19 millions à 26 millions. « Avec l’ancrage politique à l’Union européenne, le contexte d’affaires se rapproche des critères européens », ajoute Patrice Renoux, administrateur délégué de Calyon.
Les représentants du FMI, qui ont achevé, mardi, une visite à Ankara, ont plaidé pour une poursuite de l’assainissement du système bancaire. Les réformes passent, selon eux, par un renforcement de l’autonomie de l’Agence de régulation du système bancaire, qui, en 2001, avait failli. Et par une modification de la loi bancaire permettant l’intervention d’auditeurs externes.
Des recommandations déjà formulées par Jean-Louis Fort, l’actuel patron du GAFI, dans un rapport remis, en août 2004, au ministre de l’économie turc, Ali Babacan. « Ils ne voulaient pas revivre le krach de 2001 -qui a coûté 47,2 milliards de dollars à l’Etat-, explique-t-il. Pour que les mécanismes de contrôle fonctionnent, il faut supprimer les rigidités étatiques et laisser le contrôle externe s’exercer. Cela reste à faire. »