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Le chaudron turc

lundi 23 avril 2007

Source : Le Monde, le 19-04-2007

La ville anatolienne de Malatya avait déjà donné à la Turquie un anti-héros, Ali Agça, l’homme qui a tiré sur Jean Paul II en 1981. Elle avait vu naître un homme courageux, le journaliste d’origine arménienne Hrant Dink, assassiné le 19 janvier par un jeune nationaliste venu de Trabzon. Mercredi 18 avril, elle a été le théâtre d’un triple assassinat particulièrement choquant, celui de trois chrétiens évangéliques égorgés dans une maison d’édition qui publie des bibles protestantes.

Les auteurs de la tuerie, arrêtés sur place, seraient cinq étudiants de la mouvance « islamo-nationaliste ». Le modus operandi, l’égorgement, fait penser au mouvement Hezbollah turc, qui avait fait parler de lui il y a plusieurs années, manipulé, disait-on, par l’armée pour lutter contre les Kurdes du PKK. A l’annonce des assassinats, quelque 150 personnes se sont rassemblées à Taksim, au centre d’Istanbul, aux cris de « nous sommes tous des chrétiens », écho affaibli de la manifestation de janvier où 100 000 personnes avaient défilé en hommage à Hrant Dink en scandant : « Nous sommes tous des Arméniens. »

Cet acte de violence intervient dans un climat politique tendu. Le 14 avril, des centaines de milliers de personnes venues de tout le pays ont manifesté à Ankara. Le camp laïque a montré ses forces, sous une forêt de drapeaux turcs et de portraits de Mustafa Kemal, fondateur de la République en 1923. Le but était de dissuader le premier ministre issu de l’islamisme, Recep Tayyip Erdogan, qui gouverne la Turquie depuis quatre ans avec son parti AKP, de briguer la présidence de la République.

Aux yeux de beaucoup de Turcs, cette institution, garante du caractère laïque de l’Etat, ne saurait revenir à un tenant de l’islam politique, y compris dans la version modérée qui est celle du premier ministre. Certains pensent que l’armée et ses relais institutionnels ne laisseront pas M. Erdogan passer en force, même s’il dispose d’une confortable majorité au Parlement et de sondages d’opinion favorables.

Toutes les tensions de la démocratie turque, au sein de l’appareil d’Etat comme de la société, se sont donc ravivées. L’Union européenne ne peut rester un observateur indifférent dans cette période difficile pour la Turquie. Elle négocie, depuis 2005, l’adhésion future d’Ankara, tout en lui envoyant - elle ou des pays membres comme la France - de constants signaux de méfiance, qui ont contribué à pourrir le climat politique turc. La perspective européenne gonflait les voiles des réformes démocratiques, rapprochant une Turquie en plein essor économique des normes occidentales. Aujourd’hui, les réformes sont au point mort, la violence groupusculaire reprend. Ce n’est pas seulement un problème pour les Turcs.

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