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La Turquie, peut-elle intégrer l’Union Européenne ?

lundi 21 mars 2005

Casa Free - 21/03/2005

M. Khalid EL KA.

La Turquie est un pays candidat à l’Union européenne, dont la « vocation à rejoindre l’Union » a été une perspective dès 1965 lorsque la Turquie a conclu un accord d’association avec la Communauté économique européenne, surnommé accord d’Ankara, signé le 12 septembre 1963 et inclut la perspective d’une adhésion.

Cette vocation a été affirmée par les Chefs d’État et de gouvernement lors du Conseil européen d’Helsinki en décembre 1999. Comme elle ne remplissait pas alors pleinement les critères politiques de Copenhague - institutions stables, démocratie, primauté du droit, droits de l’homme, respect des minorités -, les négociations d’adhésion n’ont pas été engagées et une clause de « rendez-vous » a été fixée pour décembre 2004.

Ainsi, le Conseil européen a décidé les 16 et 17 décembre de donner son aval à l’ouverture de négociations avec la Turquie. Ces négociations débuteront le 3 octobre 2005. Il reste à signaler qu’une probable adhésion de la Turquie ne pourrait se faire qu’en 2015. Par conséquent, il y a un délai de 10 à 15 ans.

Les arguments pour l’adhésion turque :

Le débouché turc ne peut être négligé puisque l’Europe est le principal fournisseur de ses importations avec une part de 52, 6 % et le principal client de ses exportations avec une part de 54 %. Pour les partisans de l’adhésion turque, une adhésion de la Turquie favorisera l’émergence d’une Europe dynamique et influente sur la scène internationale. La Turquie est porteuse de dynamisme pour les économies européennes.

Située au confluent des marchés européen, asiatique et moyen-oriental, la Turquie constitue un marché intérieur important et dispose d’une main d’œuvre qualifiée. Elle est aussi un atout pour le développement d’une Europe de sécurité et de défense : la Turquie entretient la deuxième armée de l’OTAN et peut apporter une solide expérience en matière de lutte contre la criminalité et le terrorisme. D’autre part, cette adhésion est susceptible de changer la vision de ceux qui, déçus, ne voient l’avenir que dans l’extrémisme et l’intégrisme : l’exemple d’une Turquie démocratique, ancrée en Europe, montre que le modèle européen de démocratie, sa stabilité et sa prospérité ne sont en rien incompatibles avec une société de culture et la religion musulmane.

Les arguments contre l’adhésion :

Pour les adversaires de la candidature turque, il faut avant toute demande d’adhésion de la Turquie que celle-ci règle au préalable ses contentieux avec la Grèce - Chypre - et avec le peuple arménien - le « génocide » de 1915. la Turquie demande son adhésion à l’Union européenne pour aider son économie à décoller grâce à l’ouverture des marchés et aux subsides communautaires.

Actuellement, l’UE lui accorde déjà un milliard d’euros d’aides annuelles. Il faut croire que de nombreuses puissances financières européennes espèrent tirer profit de cet élargissement et lorgnent à la fois vers un marché en expansion et un réservoir de main-d’œuvre à bon marché. Cela signifie aussi dans un premier temps la délocalisation de nos industries. Mais c’est aussi l’entrée du petit - mais performant - complexe militaro-industriel israélo-turc en concurrence directe avec les industries européennes. C’est encore la libre circulation d’une main-d’œuvre concurrentielle habituée aux bas salaires. Tout cela sans compter l’avertissement de Franz Fischler, Commissaire européen à l’Agriculture : « Le coût annuel de cette admission pour le budget européen dans le seul secteur agricole serait plus important que pour les 10 nouveaux membres réunis » (« Financial Times », 10 septembre 2004).

Les avantages pour l’Union Européenne :

Il est évident que si les avantages pour l’Union ne sont pas économiques (hormis un vague espoir d’envol du marché turc), il faut les chercher, s’ils existent, dans d’autres secteurs. Ces autres secteurs dépassent l’économie stricto sensu et font appel à la prospective sur le long terme.
Au niveau géopolitique et stratégique, il est évident que la Turquie pourrait servir de tête de pont, elle qui a toujours été un Carrefour, entre l’Occident et l’Orient. Après le 11 Septembre, ce serait une chance pour l’Occident de renouer avec le monde musulman. La Turquie permettrait à l’UE d’accroître son influence dans des zones dans lesquelles elle n’est pas ou peu présente, cela lui permettrait d’avoir un prolongement vers les 150 millions de turcophones, vers le Proche et Moyen Orient, vers les Balkans, le Caucase, l’Asie Centrale ; L’Union aurait des relations de voisinage avec l’Iran, l’Irak, la Syrie...autant de pays au ban de la communauté internationale, avec lesquels elle pourra renouer le dialogue et combler le vide laissé par les USA. Aussi, avec ses liens privilégiés avec la Syrie (Protocole d’Adana) ou la Jordanie, sa reconnaissance dès 1988 de l’Etat palestinien, sa présence dans la mission temporaire internationale à Hébron et ses relations amicales et stratégiques avec Israël depuis 1995, la Turquie peut être un acteur privilégié dans le processus de paix, permettant encore à l’Union de se placer face aux USA.

Dans la Région, Ankara a un rôle primordial qui pourra servir les intérêts de l’Europe, elle contrôle les détroits du Bosphore et des Dardanelles, lieux hautement stratégiques, et elle est le « château d’eau » du Moyen Orient, c’est elle qui contrôle les sources du Tigre et de l’Euphrate et peut en réguler les débits, formidable outil de pression diplomatique sur ses voisins.

Au niveau énergétique aussi, l’attrait de la Turquie n’est pas négligeable. Soulignons que le Caucase, sur lequel la Turquie a une grande influence, est la deuxième réserve pétrolière du monde et pourra servir de transit à l’exploitation des réserves de la Sibérie. La Turquie est sur la route de l’acheminement du pétrole et du gaz de la Caspienne et il faut rappeler le projet d’oléoduc reliant Bakou à Ceyhan en Turquie. L’Union qui apparaît pour certains trop dépendante de la Russie pour ses approvisionnements trouvera dans la Turquie et ses alliés, une source de diversification énergétique.

On le voit, les avantages pour l’Union existent, même s’ils sont sur le long terme ou indirects. Toutefois, comme toute décision, la prise de position ne peut intervenir qu’après une étude du bilan coût / avantages, il faut donc voir les inconvénients ou désagréments qui pourraient se présenter.

Les inconvénients pour l’Union Européenne :

L’inconvénient principal est celui du coût lié à l’adhésion. En effet, l’entrée de la Turquie dans l’Union coûterait très cher puisqu’elle serait bénéficiaire de fonds structurels et des aides agricoles de l’Union. Toutefois ce déséquilibre peut être relativisé : le Center for turkish studies en Allemagne a fait une étude il y a quelques années, montrant que la contribution turque au budget européen serait de 2,9 milliards d’euros, alors qu’elle en recevrait environ 10,4. Ce qui signifierait que pour chaque euro injecté dans le budget européen, elle en recevrait 3,58 ce qui constitue des charges en plus pour les pays membres de l’Union et vu les politiques de restriction des dépenses relatives à l’Union de quelques pays membres tels que la France et l’Allemagne, le budget européen ou plutôt son affectation risque d’être impacté négativement.

La question de la Turquie et l’adhésion à l’UE n’est donc pas simple et pose de multiples questions. Un élément de réponse pourrait se trouver dans le facteur temps et spécialement après le début des négociations en octobre 2005. Mais en tous cas, les atouts de la Turquie, les perspectives positives en vue de respecter les critères de Copenhague ainsi que le soutien de la France et de l’Allemagne donnerait un coup de pouce vers une adhésion Turque qui serait une première pour un pays musulman laic qui a réussi à s’intégrer et à s’adapter au modèle démocratique européen.

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