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L’orgueil perdu de la diplomatie française

mardi 13 avril 2010, par Bernard Guetta

Bernard Guetta

La France n’a plus de politique étrangère. Ce n’est pas que le bilan diplomatique de Nicolas Sarkozy soit totalement négatif. Ce président peut, au contraire, se flatter de deux réussites sur la scène internationale puisqu’il avait su faire de l’Union européenne l’instrument d’une médiation entre Russes et Géorgiens et que c’est lui qui était parvenu, surtout, à imposer à George W. Bush la réunion d’un sommet du G 20 pour faire face au krach de Wall Street.

Nicolas Sarkozy a fait voir le poids qu’aurait l’Union si elle était assez dirigée pour agir en puissance politique. Il a anticipé une évolution aussi nécessaire qu’inéluctable en élargissant le directoire mondial aux puissances émergentes. C’est également lui qui a amené l’Allemagne, puis l’ensemble de l’Union, à accepter le principe d’un « gouvernement économique » de l’Europe. Ce n’est pas rien. C’est même beaucoup si l’on compare ce bilan à celui de sa politique intérieure mais, au-delà d’une indéniable énergie et d’un instinct du moment, qui pourrait dire, aujourd’hui, ce qu’est sa politique étrangère ?

Avec la frénésie d’une droite atlantiste qui n’en pouvait plus d’enterrer le gaullisme, Nicolas Sarkozy a fait revenir la France dans le commandement intégré de l’Otan. Il l’a fait sans contreparties tangibles, sans même demander le moindre rééquilibrage entre l’Europe et les Etats-Unis au sein de l’Alliance atlantique, sans obtenir ne serait-ce que l’ouverture d’un débat sur les nouvelles missions d’une alliance qui s’était forgée pour contrer une menace maintenant disparue avec le bloc soviétique. Il l’a fait par pure idéologie et le seul résultat de cette décision est d’avoir privé la France d’un atout symbolique mais essentiel, celui d’être le pays indépendant du camp occidental, une démocratie faisant front avec les autres démocraties mais libre de ses choix et de sa parole et non pas inféodée aux Etats-Unis.

Plus absurde encore, il l’a fait à l’instant même où toutes les cartes se rebattent dans le monde, où l’Amérique se soucie moins de l’Europe que de l’Asie, où la montée de nouvelles puissances relativise la prédominance occidentale, où l’Allemagne unifiée s’affirme en puissance politique, où la crise de la mondialisation exige l’instauration de réglementations mondiales – où la France, en un mot, aurait pleinement pu profiter de sa singularité, d’un demi-siècle d’indépendance nationale, pour devenir une force de proposition, à l’avant-garde du changement. C’est ce qu’elle fait, dira-t-on.

C’est ce qu’elle tente, en effet, de faire avec cette volonté qu’a maintenant Nicolas Sarkozy d’incarner la contestation du capitalisme financier. C’est avec éloquence qu’il s’y est essayé à Davos. Son ambition est de creuser ce sillon en utilisant la présidence française du G 20 mais l’homme qui a banalisé son pays après s’être fait fort d’y importer le modèle anglo-saxon et s’être flatté de sa connivence George W. Bush souffre, là, d’un manque de crédibilité. Même lorsqu’il parle juste, il est d’autant moins entendu que Gordon Brown, Angela Merkel et Barack Obama lui disputent ce rôle d’avocat d’une régulation devenue nécessaire. Il pâtit du contretemps que le libéralisme et l’atlantisme de ses débuts avaient imposé à la diplomatie française mais ce n’est pas tout.

Nicolas Sarkozy a infléchi la politique proche-orientale de la France en faveur d’Israël au moment même où les Etats-Unis en sont venus à exiger de Benyamin Nétanyahou l’arrêt de la colonisation des territoires occupés. C’est son deuxième contretemps et, parallèlement, il n’y a plus de politique africaine de la France, bonne ou mauvaise, et plus de politique maghrébine, non plus, puisque l’Union pour la Méditerranée qui devait en tenir lieu a pris l’eau.

« Non plus définie mais pilotée par l’Elysée, la diplomatie française a sombré dans la confusion, devenue illisible après trop d’à-coups et d’improvisations dont l’exemple le plus saisissant est la manière dont la France se fait haïr de la Turquie. Voilà un pays francophile dont les élites sont francophones, une économie en pleine croissance dont l’industrie française pourrait bénéficier à plein et que fait Nicolas Sarkozy ? Il ne se contente pas d’ignorer les arguments stratégiques plaidant en faveur d’une adhésion de la Turquie à l’Union européenne mais se fait le plus ardent de ses opposants, au mépris des intérêts français et pour de simples calculs électoraux qui n’ont pas même empêché la résurrection du Front national. »

Le gaullisme appartenait à un autre siècle. Il ne s’agit pas d’y revenir mais d’en retrouver la force et l’orgueil – une volonté de faire entendre la France qui passe, d’abord, par la claire vision d’un avenir à proposer à l’Union européenne.

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Sources

Source : Libération, le 07.04.10

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