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L’esprit de Hrant Dink hante la société turque

mardi 22 janvier 2008, par Delphine Nerbollier

Un an après l’assassinat du journaliste arménien à Istamboul, beaucoup veulent faire vivre sa mémoire, mais le procès de ses meurtriers n’a toujours pas abouti.

- Istanbul, correspondance.

Hrant Kasparyan a délaissé pour quelques heures les bureaux du journal arménien Agos. En cette fin d’après midi, il est de permanence dans un petit local du quartier stambouliote de Tunel. Il accueille les visiteurs venus écouter des extraits d’articles écrits par Hrant Dink, le fondateur d’Agos, assassiné le 19 janvier 2007 devant les locaux de sa rédaction.

« La Turquie a perdu un intellectuel objectif et sincère, courageux et proche des opprimés, en faveur du dialogue, de la liberté d’expression et de la démocratie », estime ce jeune homme de 25 ans qui porte le même prénom que celui à qui est dédiée cette exposition sonore.

Un an après son assassinat par un jeune homme lié aux milieux ultranationalistes, l’esprit de Hrant Dink, principale voix de la communauté arménienne de Turquie, reste ancré dans les esprits. « Peu après sa mort, nous avons décidé de créer une association, Hadig, pour que survive sa mémoire, explique Hrant Kasparyan. Parmi nous se trouvent des Arméniens, mais aussi des Kurdes et des Turcs. La mort de Hrant a éveillé la conscience d’une partie de la société. Le processus de démocratisation se poursuit malgré les difficultés. »

Hrant Kasparyan fluctue entre optimisme et résignation. Il avoue avoir espéré que de nombreux Hrant Dink sortiraient de l’ombre, hors de la communauté arménienne. Cent mille personnes avaient scandé « Nous sommes tous arméniens » lors des funérailles du journaliste. Mais une vague ultranationaliste avait suivi à travers le pays.

Un an après la disparition tragique du journaliste, fervent militant d’une réconciliation entre Turcs et Arméniens, les esprits restent lourds et la tristesse palpable. Mais des initiatives comme celle de l’association Hadig se multiplient.

Dans le quartier d’Okmeydani à Istamboul, des habitants militent pour qu’une rue porte le nom de Hrant Dink. Demain, jour anniversaire de sa mort, une manifestation sera organisée devant les locaux d’Agos, précisément à l’endroit d’où était parti son cortège funéraire. Sans parler des élections législatives de juillet dernier qui ont permis à certains candidats de redonner voix aux exigences démocratiques de Hrant Dink.

Ayse Gul Altinay est l’une de ces figures engagées qui se sont donné comme but de faire vivre l’héritage de cet intellectuel. « Un an après sa mort, mes sentiments sont confus, avoue cette enseignante à l’université Sabanci d’Istamboul. Au-delà de la peine, je ressens de la culpabilité pour ne pas l’avoir incité à quitter le pays. Nous savions qu’il était menacé. J’ai un temps pensé que nous avions tort d’être optimistes pour la Turquie. Nous avions sous-estimé le côté sombre de cette société. L’année écoulée nous a montré que de nombreux efforts étaient déployés pour saper le processus démocratique du pays. D’un autre côté, les funérailles de Hrant ont prouvé qu’il y avait des raisons d’espérer. Cette société est incroyablement dynamique. Certains groupes défient les tabous, et pas seulement le tabou arménien lié aux massacres de 1915. Cette énergie est très encourageante et à mon sens irréversible. S’il y a autant de violence, c’est en réponse à cette énergie. »

Ayse Gul Altinay figure parmi les membres fondateurs de la Fondation Hrant-Dink, qui vise, entre autres choses, à encourager le travail historique sur la question arménienne et à développer les échanges entre la Turquie et l’Arménie.

Le procès des assassins présumés de Hrant Dink, toujours en cours, est en revanche jugé « déprimant et frustrant » par ses proches. En dépit des demandes de la partie civile, aucun responsable de la police ni de l’État n’est poursuivi, malgré les soupçons de négligence, voire d’implication directe dans l’assassinat, qui pèsent sur certains.

Autre ombre au tableau, l’absence d’avancée au sujet de l’article 301 du code pénal qui sanctionne les insultes envers l’identité turque et les institutions de l’État, limitant de fait la liberté d’expression. Hrant Dink avait été condamné à six mois de prison avec sursis sur la base de cet article. Malgré l’insistance de l’Union européenne et des associations turques de défense des droits de l’homme, cet article n’a été ni modifié ni aboli et de nombreux procès restent en suspens. Comble de l’ironie, le fils de Hrant Dink a été condamné pour avoir publié l’article pour lequel son père avait été jugé… et assassiné.

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Sources

Source : La Croix (France), 18 janvier 2008

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