C’est le moment de se battre, crier, pester, jouer, courir et sauter : les lieux de rencontre indépendants envahissent la scène théâtrale stambouliote. Comme dans toutes les villes du monde, les théâtres indépendants jouent un rôle important sur les plans social comme culturel. Ils n’hésitent pas à critiquer la société, à exprimer un certain mécontentement sur scène, voire à remettre en question des décisions gouvernementales. Et toutes ces salles ne sont pas que des havres pour acteurs et pièces, mais aussi des lieux d’interrogation sur les questions existentielles comme des endroits où aborder les problématiques urbaines contemporaines comme l’identité, les migrations, la politique et la religion.
À Istanbul, la plupart des sites d’art sont gérés par des acteurs. C’est le cas des lieux comme Kumbaraci50, Mekan Arti et Ikinci Kat, dont les propriétaires se sont réunis le 27 mars pour discuter de la manière de susciter un plus vif intérêt pour le théâtre contemporain à Istanbul. Cette rencontre a été le point de départ d’un mouvement de réflection sur la question. Les théâtres indépendants vont donc travailler ensemble pour continuer à mettre en scène et maintenir en vie leurs lieux de rencontre.
“Pendant longtemps, les gens se sont plaints du manque de représentations théâtrales alternatives à Istanbul, » déclare Nilgün Kurt, porte-parole de Altidansonra Tiyatro, qui ouvrit Kumbaraci50 en 2009, l’un des lieux de rencontre les plus actifs de la ville en matière de théâtre alternatif. Leur création représenta un pas important pour ceux qui s’intéressent aux productions théâtrales innovantes et indépendantes. « Il est juste de dire que Kumbaraci50 ne produit par seulement de nouvelles représentations mais encore de nouveaux contenus. Nous préférons sélectionner des manuscrits innovants et originaux pour nos représentations », précise Kurt.
Kumbaraci50 porte sur le devant de la scène les problèmes des populations des grandes villes et notamment la manière dont ils se font absorber par la société de consommation. Tilt, une de leurs pièces les plus populaires, en est un exemple : elle raconte cinq histoiresdifférentes de la vie citadine, chaotique et rapide, dans laquelle les gens renoncent à une multitude de choses pour réaliser leur rêve.
Un autre acteur du théâtre indépendant est Sifirnoktaiki : créé en 2007 et dirigé par un petit groupe d’acteurs, il est sous la direction artistique de Sami Berat Marcali et de Eyüp Emre Ucaray. Cette structure a récemment ouvert une section supplémentaire appelée Ikinci Kat (second étage). Berat Marcali qui, en plus de sa position de directeur artistique, est aussi artiste, se réjouit de la manière dont le milieu évolue : « Depuis nos débuts en 2009, le principal objectif a été de jouer des pièces à la fois dynamiques et contemporaines. » Dans son répertoire, Sifirnoktaiki compte, entre autres, des pièces de Philip Ridley and Joe Penhall. La pièce de Ridley intitulé The Fastest Clock In the Universe, est consacrée au processus de vieillissement, aux nouveaux départs et à la manière dont le corps humain résiste au temps. Ray, un jeune homme schizophrène, a été propulsé dans le monde avec une pile de médicaments qu’il prend à contrecœur. Il réussit à quitter l’asile et est pris en charge par son frère Pete, un patron de restaurant travailleur et renommé.
Un manque de pièces écrites en turc
Au début pour Sifirnoktaiki, ce fut un véritable défi que de trouver des manuscrits turcs reflétant leurs thématiques. D’après B. Marcali, cela est malheureusement dû à un manque de manuscrits rédigés en langue tuque, mais également au fait que les jeunes écrivains n’ont pas assez de courage pour partager leurs œuvres avec le public. « Nous préférons des manuscrits dynamiques d’auteurs comme Philip Ridley ou Marc Ravenhill plutôt que des textes qui ne correspondent pas à nos attentes », précise Marcali. Cependant le groupe n’a pas encore renoncé aux dramaturges turcs. Dernièrement, ils ont travaillé avec l’acteur et l’auteur de pièces stambouliote Nihan Celkan pour mettre en scène la pièce 17.31, qui traite de l’actuelle crise économique et de la manière dont elle touche les personnes dans leurs vies quotidiennes. La pièce veut mettre en lumière le fait que la crise a refondu la vie des gens à travers la perception de la vie professionnelle et économique. La violence est normalisée, la conception du bonheur a changé, tout comme l’approche éthique dans notre monde dans son ensemble.
En réalité, l’ouverture de tout nouvel espace indépendant est une grande contribution au développement de toute la scène théâtrale turque. L’auteure Yesim Özsoy Gülan de Biz Ve Diger Seyler Toplulugu et Galataperform explique qu’en « […] Turquie, le gouvernement soutient volontiers ces plate-formes qui sont sous son contrôle, donc tout financement et soutien est donné aux théâtres publics. » Dans ces théâtres, il est plusieurs obstacles potentiels à la liberté de pensée. C’est pourquoi les théâtres indépendants sont si précieux.
Néanmoins, ces dernières années ont connu des développements prometteurs. « Galataperform a démarré en 2003 et depuis nous avons vu une émergence de ce genre de plate-forme et groupe. Aussi, les théâtres indépendants représentent un lieu important pour les acteurs et les auteurs de pièces. Grâce à nous, ils ont la possibilité de s’exprimer librement et de gagner de l’argent, » déclare Gülan. Cela dynamise aussi la manière de faire du théâtre.
Être un point de rencontre artistique indépendant n’est pas facile. Malgré tous les efforts pour maintenir en activité, et les salles et, plus largement, la scène indépendante stambouliote, le simple fait de rester ouvert est une lourde tâche. « Tout dépend des financements, indique Nilgün Kurt. Nous devons souvent travailler avec des petits budgets et créer de bonnes pièces reste difficile dans ces conditions. Les relations publiques sont un autre défi, étant donné que nous devons faire la promotion de nos pièces dans les médias ». Il est crucial d’atteindre le public. La scène indépendante se bat et parvient à maintenir de belles valeurs créatives. « Je pense qu’être un théâtre indépendant est une chose positive », conclut Berat Marcali. « Cela nous donne l’opportunité de produire des spectacles dans lesquels nous croyons et auxquels nous apportons grand soin, ce qui est important pour nous. Pour nous, c’est une opportunité de démontrer esthétiquement ce que nous disons et défendons. »