ANKARA correspondance
Depuis plusieurs jours, le groupe d’assurance français Axa est très critiqué en Turquie. Il se voit reprocher d’avoir accepté jeudi 13 octobre de verser une indemnisation de 14,4 millions d’euros à des descendants de victimes du génocide arménien, mortes en 1915 et porteurs de titres d’assurance-vie.
L’accord porte sur des contrats (plus de 10 000) souscrits par des Arméniens vivant à l’époque de l’Empire ottoman auprès de l’Union-Vie, branche constitutive de l’UAP, rachetée en 1996 par Axa. Le président d’Union-Vie, dans une lettre transmise au ministère français des affaires étrangères, en avril 1922, avait reconnu que le décès de ces Arméniens était dû aux massacres perpétrés par les Turcs et non à une mort naturelle. Pourtant, la compagnie d’assurances l’Union-Vie ne s’était jamais acquittée du reversement des primes des assurances-vie souscrites. Il y aurait aujourd’hui environ 5 000 descendants.
Fruit d’une action collective (class action) engagée depuis plusieurs années, cet accord doit recevoir en novembre l’approbation du tribunal de district de Californie, qui abrite le plus grand nombre d’Arméniens au monde hors d’Arménie. Il aboutit au versement de 9,3 millions d’euros à un fonds d’indemnisation des descendants des victimes et au versement de plusieurs millions d’euros à des organisations communautaires arméniennes en France. Un accord similaire avait été trouvé en 2000 avec l’assureur américain New York Life. La prochaine compagnie concernée pourrait être, selon les avocats, l’allemande Victoria.
ASSOCIÉ À L’ARMÉE
Cette affaire a mis les milieux nationalistes turcs en émoi. D’autant que le partenaire d’Axa sur le marché turc n’est autre qu’Oyak, le fonds de pension de l’armée, symbole de la présence du pouvoir militaire dans l’économie. Et son silence, dans un premier temps, a suscité moult réactions. Ahmet Aksu, dirigeant du puissant syndicat de fonctionnaires Memur-Sen, a ainsi déclaré qu’« Oyak -était- complice du crime en restant silencieux » et en le sommant de rompre son accord avec Axa. « Sinon, a-t-il prévenu, nous appellerons les membres du syndicat au boycott et leur demanderons de ne pas signer de contrat d’assurance avec Axa-Oyak. » Devant les attaques répétées, notamment dans la presse turque, Oyak a finalement annoncé samedi l’ouverture d’une enquête sur la décision d’Axa.
De son côté, le porte-parole du ministère des affaires étrangères, reprenant la terminologie habituelle, a déclaré que « la position d’Axa n’ -avait- rien à voir avec celle du gouvernement sur les allégations de soi-disant génocide » .
Chez Axa, l’embarras est réel. « Nous avons eu à faire face à de nombreuses réactions internes, explique une porte-parole. Nous avons dû expliquer la situation par courrier à nos salariés turcs, ainsi qu’à nos partenaires de chez Oyak. Pour nous, il n’y a pas de contradictions. Je ne sais pas si cela aura un impact en Turquie, mais nous avons fait ce que nous devions faire. »
L’enjeu est de taille. Depuis la création, en 1999, d’une coentreprise Axa-Oyak, les deux partenaires ont rapidement gagné des parts de marché. Aujourd’hui, avec 12 % des polices d’assurance, un secteur en plein développement en Turquie, le groupe est au coude à coude avec l’allemand Allianz.
Guillaume Perrier
1,5 million de morts :
Le génocide arménien. En 1915, le parti des Jeunes-Turcs au pouvoir, partisan de l’homogénéisation ethnique, soupçonne les Arméniens de collusion avec l’ennemi russe. Il décide de les déporter en Syrie et en Mésopotamie. Sur les 2 millions d’Arméniens vivant dans l’Empire ottoman, 1,6 million sont déportés dont 1,5 million sont morts.
La reconnaissance. Plusieurs pays, dont la France, reconnaissent le génocide. La Turquie admet des massacres dans un contexte de guerre, mais relativise le nombre de victimes (de 250 000 à 500 000). Elle réfute la thèse du génocide.
24.10.05