En acceptant une rotation aérienne en provenance et à destination de Chypre-Nord (RTCN, non reconnue), en violation des règles internationales, l’Azerbaïdjan vient de plonger l’Union européenne dans un profond embarras. La République de Chypre est furieuse et la politique caucasienne de l’Union est ébranlée.
De notre correspondante à Bruxelles
L’affaire paraît caricaturale mais constitue un premier accroc dans le lancement, prévu en septembre 2005, des négociations des plans d’action entre l’Union européenne et les trois républiques du Caucase du Sud (Azerbaïdjan, Arménie et Géorgie). Ces plans doivent renforcer les relations entre l’Europe et la région sud-caucasienne dans le cadre de la nouvelle politique européenne de voisinage. Le mois dernier, à la demande de Nicosie, l’UE a reporté l’ouverture des négociations avec l’Azerbaïdjan. Les relations entre les deux pays se sont détériorées depuis que Bakou a autorisé l’atterrissage d’un avion de la Turkish Cypriot Airlines, en violation de l’embargo décrété par les autorités de l’aviation civile internationale. La République turque de Chypre du nord (RTCN), en effet, n’est pas reconnue par la communauté internationale.
Il faut dire que fin août dernier, la compagnie chypriote turque a effectué un vol jusqu’à Bakou et retour avec, à bord, le ministre chypriote turc des Affaires étrangères Serdar Denktash, son père l’ancien président Rauf Denktash, des hommes d’affaires et des journalistes. C’était une première ! Tous les vols atterrissant et décollant de la partie nord de l’île devaient jusqu’alors obligatoirement transiter par la Turquie, seul pays à reconnaître la RTCN. Ce faisant, Bakou voulait démontrer sa solidarité envers les Chypriotes turcs et Ankara, avec laquelle elle a des liens privilégiés.
Au nom de la « stabilité dans la région »
La crispation qui s’en est suivie entre Nicosie et Bakou ne bloque pas seulement l’ouverture des négociations entre l’UE et l’Azerbaïdjan. Elle entraîne, automatiquement, un report des discussions des plans d’actions avec l’Arménie et la Géorgie au nom, explique Bruxelles, de la « stabilité dans la région ». Car la Commission européenne, qui a toujours privilégié une approche régionale de ses relations avec le Caucase du Sud, veut démarrer les négociations simultanément avec chacune des trois républiques. L’affaire démontre les limites du principe et provoque un tollé, Erevan et Tbilissi refusant de faire les frais d’une polémique dans laquelle elles n’ont strictement rien à voir.
« Il n’y a aucune raison pour que nous subissions les conséquences de certains problèmes existants entre Chypre et l’Azerbaïdjan », explique Vartan Oskanian, le ministre arménien des Affaires étrangères. « Le plan d’action avec l’Europe est très important pour l’Arménie et doit nous permettre de passer d’une simple coopération à une étape vers l’intégration des critères européens en matière économique et de démocratie. Nous souhaitons qu’il soit mis en �uvre le plus rapidement possible en tenant compte des particularités et des spécificités propres à chacune des trois républiques. L’Arménie est prête à le négocier individuellement avec l’Union européenne. »
Le plaidoyer trouve un écho auprès du Parlement européen : « Il serait étrange que le démarrage des négociations entre la Commission européenne et l’Arménie continue d’être bloqué en raison d’un conflit entre Chypre et l’Azerbaïdjan qui ne concerne en rien l’Arménie », a commenté Josep Borrell à l’occasion de la visite, la semaine dernière à Bruxelles, du chef de l’Etat arménien Robert Kotcharian. Face à ces demandes, l’UE attendrait de voir la façon dont se dérouleront les élections législatives du 6 novembre en Azerbaïdjan, avant de prendre une décision.
Anne-Marie Mouradian
Article publié le 28/10/2005