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Accélération du processus de négociations à Chypre ?

mardi 6 avril 2010, par Louis-Marie Bureau

Depuis un mois, l’évolution du processus de réconciliation chypriote connaît de nouveaux développements qui se traduisent notamment par de nombreux appels à une réconciliation entre les deux communautés. Dans une interview le 2 mars dernier, le Premier ministre turc, Recep Tayip Erdoğan, a évoqué un retrait possible des troupes turques présentes sur l’île, dans le cas où un accord interviendrait entre les deux parties. Cette déclaration a provoqué un grand nombre de réactions, à commencer par celle du chef du gouvernement grec Georges Papandréou. Celui-ci a proposé, le 8 mars, de rencontrer son homologue turc dans les mois à venir, afin de discuter d’une « solution juste » susceptible de régler le problème chypriote. Les organisations internationales ont également été sensibles aux avances de Recep Tayyip Erdoğan, le secrétaire général des Nations Unies ayant déclaré, quelques jours plus tard, que cette déclaration montrait « l’appui du gouvernement turc au processus » de négociations qui est en cours. Par ailleurs, le commissaire européen à l’élargissement Štefan Füle a encouragé la Turquie à normaliser ses relations avec Chypre, après sa première rencontre avec le ministre des affaires étrangères de Turquie, Ahmet Davutoğlu, tout en estimant que l’annonce du Premier ministre turc allait « dans le bon sens ». Enfin, la chancelière allemande, Angela Merkel, lors d’une visite officielle en Turquie, les 29 et 30 mars 2010, a rappelé à la Turquie que les engagements qu’elle avait souscrits à l’égard de l’UE, lui faisaient obligation d’ouvrir ses ports et aéroports à la République du Chypre.

Des négociations prises par le temps.
Pourquoi une telle effervescence affecte-t-elle un dossier qui paraissait s’enliser, ces derniers mois ? La première raison de ce remue-ménage est que la question chypriote est plus que jamais l’une des clefs de l’adhésion turque, puisque 8 chapitres sont bloqués depuis 2006, suite au refus d’Ankara d’ouvrir ses ports et aéroports à Nicosie en application de l’accord d’Union douanière. Dans une interview publiée par Zaman, Mensur Akgün déclare que le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne « pourrait s’interrompre si ce conflit (n’était) pas résolu. » Il considère en effet que, la Turquie perd « peu à peu son désir de devenir membre de l’UE », n‘étant plus prête à faire de concessions supplémentaires, et qu’un arrêt des négociations en 2010 est possible « bien que personne ne le souhaite ». La seconde raison de l’apparente relance des efforts de négociations à Chypre, ces derniers temps, concerne le calendrier politique interne des deux communautés grecque et turque de l’île. En effet, il faut voir que les discussions mutuelles qui sont conduites bénéficient actuellement de conditions pratiques favorables, mais somme toute fragiles. Le président chypriote Demetris Christofias (à gauche sur la photo), secrétaire général du parti marxiste-léniniste AKEL, entretient en effet de bonnes relations avec Mehmet Ali Talat (à droite sur la photo), président de la partie turque, qui est également de gauche et qui a milité avec son homologue grec, dans sa jeunesse, au sein du parti communiste chypriote qui était alors unifié. Les deux hommes, qui s’apprécient, ont pu susciter ensemble des avancées diplomatiques inédites depuis le plan Annan de 2004, tel le plan de « partage des pouvoirs » actuellement à l’étude. Mais, ces discussions ont été suspendues, fin mars, afin de permettre à Mehmet Ali Talat d’entrer en campagne pour la présidentielle de la RTCN (République Turque de Chypre du Nord), prévue le 18 avril 2010. Mais cette interruption électorale pourrait bien mettre un terme aux négociations actuelles, Mehmet Ali Talat étant actuellement donné perdant face à son rival Derviş Eroğlu. Ce dernier, qui a remporté les élections législatives en 2009 et qui est devenu premier ministre, appartient à une formation nationaliste actuellement opposée à un accord entre les deux communautés. De surcroît, Demetris Christofias a annoncé qu’il ne se représentera pas à la présidentielle chypriote de 2013, si le processus en cours devait connaître un échec. Ceci augmente encore le risque de voir s’évanouir le contexte favorable dont bénéficie actuellement les négociations. À l’issue de leur ultime rencontre, les deux leaders se sont pourtant déclarés confiants sur la possibilité de trouver une solution au différend chypriote, dans un avenir proche. Mais ce conflit fossilisé reste particulièrement difficile à résoudre.

Les obstacles politiques au processus.
Concrètement, un plan de règlement est actuellement en cours de négociations. Proposé par les autorités de la partie occupée de l’île, il préconise la mise en place d’un « partage des pouvoirs » entre les parties grecque et turque, à tous les échelons de l’Etat. La présidence de l’île serait ainsi occupée en alternance par un Grec (pour trois ans) et par un Turc (pour deux ans). De même, le pouvoir législatif verrait l’adoption des lois à la majorité simple, à condition que les textes étudiés aient recueilli le quart des suffrages des représentants de chaque communauté. Ces projets se heurtent néanmoins à la vive opposition d’une partie du gouvernement chypriote grec, notamment des membres du Parti démocrate. Ceux-ci considèrent en effet que le modèle de gestion partagée de manière presque égale entre Grecs et Turcs ne reflète pas la réalité démographique de l’île, les Chypriotes turcs ne constituant que 18% de la population. Ils estiment en particulier que le quart des suffrages de chaque communauté requis pour l’adoption d’une loi confèrerait un veto de fait à la communauté turque, sans commune mesure avec son poids numérique. Ils craignent enfin que l’autonomie de la partie turque n’existe qu’au niveau juridique, et qu’une institutionnalisation de la situation actuelle offre dans les faits à Ankara un « volant d’action au sein des institutions européennes » (Christophe Barbier). Cette opposition a été fatale à la coalition gouvernementale de Demetris Christofias, les socialistes ayant quitté le gouvernement le 8 février dernier, après avoir accusé le président d’accorder des avantages sans concession à la partie turque. Leur souhait d’une base commune entre les deux communautés, comme préalable à toute discussion, diffère grandement de celle de la RTCN, très prudente sur les concessions à accorder. Quoique perçu comme modéré sur la question, Mehmet Ali Talat n’entend ainsi pas dépasser le stade des déclarations d’ouverture, tant que l’Union européenne maintiendra ses sanctions à l’égard de la partie turque. Il a rappelé par ailleurs son opposition à l’ouverture unilatérale par la Turquie de zones portuaires et aéroportuaires aux Chypriotes grecs, décision qui lui apparaît comme « très dangereuse ». Nonobstant le climat favorable des discussions, les deux parties conservent donc des positions très différentes sur les concessions à accorder. L’ouverture des ports et aéroports, considérée par la partie grecque comme une décision pouvant annoncer l’ouverture de négociations officielles, demeure pour la RTCN une mesure qui conditionnera la résolution du conflit.

L’isolement des négociateurs.
La conclusion d’un accord entre les parties ne garantirait d’ailleurs pas pour autant son application, les deux leaders qui négocient, connaissant chacun un relatif isolement politique. Demetris Christofias doit ainsi faire face à l’opposition de principe des socialistes à son action, le politologue Hubert Faustman estimant que « tant que les négociations seront en jeu, il n’aura jamais leur soutien. » Mehmet Ali Talat doit, quant à lui, composer avec l’UBP nationaliste du premier ministre Derviş Eroğlu, majoritaire au Parlement, qui considére qu’un « statu quo serait mieux que ce que Demetris Christofias (…) offre ». Au sein même de la société civile, une partie de la population grecque demeure hostile à un accord et considère que la question des propriétés spoliées n’est pas réglée ; il en est de même pour les Chypriotes turcs, dont la moitié se disent aujourd’hui hostiles à un plan de réunification. Ce scepticisme des deux communautés est une donnée à prendre en compte, dans la mesure où une entente entre les parties devra être finalement ratifiée par referendum. Les développements des prochains jours nous diront si les « négociations marathon » dont parle Guillaume Perrier déboucheront enfin sur un accord de réconciliation.

Louis-Marie Bureau

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Sources

Source : Ovipot, le 04.04.10

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