Logo de Turquie Européenne
Accueil > La Turquie et l’UE > Pour l’adhésion > Un souvenir de concert

Un souvenir de concert

mardi 26 novembre 2002, par Güher Pekinel

Le Monde

Peut-être vous souviendrez-vous, Valéry Giscard d’Estaing, de ce concert à l’Opéra de Vichy il y a à peu près trois mois, où nous avions interprété, ma sœur Suher et moi, le concerto de Poulenc pour deux pianos avec l’orchestre du Capitole de Toulouse dirigé par Michel Plasson.

Nous étions heureuses et flattées de recevoir vos compliments sur notre interprétation de cette œuvre qui reflète bien la richesse musicale française. Nous avons eu aussi, par la suite, l’honneur de participer à votre table à un dîner organisé en votre honneur par la mairie de Vichy. Ce fut une excellente occasion pour nous d’échanger nos idées sur la Turquie et l’Union européenne. Nous avons quitté la soirée avec l’impression qu’après tout les obstacles entre l’Europe et la Turquie n’étaient pas insurmontables et qu’un dialogue positif et constructif pouvait éliminer, en ce début du XXIe siècle, certains préjugés anciens et malheureusement encore persistants.

Quelle surprise donc de lire, par la suite, dans Le Monde, vos déclarations ! La Turquie se verrait donc refuser l’entrée dans l’Union européenne pour cause d’incompatibilité culturelle, après quarante ans de relations politiques, économiques et légales avec l’Union et en tant que membre de longue date du Conseil de l’Europe et de l’OTAN ? Pour s’élargir, l’Europe devrait donc, d’après vous, s’enfermer dans une forteresse géographique et culturelle ! Rester « unique mais pas universelle », comme le dit Huntington ?

Pourtant, monsieur le président, pendant toute ma vie d’artiste née en Turquie, mais qui a été formée et a vécu en Europe et aux Etats-Unis depuis l’âge de 10 ans, si je n’ai connu qu’une certitude, c’est bien que la culture ne peut être qu’universelle.

Je crois fermement qu’à cet égard l’apport de la Turquie, héritière de plusieurs civilisations et religions, serait considérable pour l’Europe.

Enrichie par une longue histoire qui s’étale géographiquement de la Chine jusqu’aux Balkans, en passant par l’Asie centrale, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, la Turquie a connu et assimilé plusieurs cultures et religions - chamanisme, bouddhisme, judaïsme, voire christianisme - avant d’adopter l’islam. Elles ont toutes influencé et formé dans une certaine mesure son identité culturelle, qui est aussi la source de son ouverture d’esprit.

N’est-il pas, en effet, remarquable, du point de vue de cette ouverture d’esprit, qu’un pays musulman comme la Turquie, censé être radicalement renfermé dans sa religion et son mode de vie, ne voie pas d’inconvénient à cohabiter avec une Europe chrétienne, alors que l’attitude de certains Européens ressemble au contraire ?

En tant que pianiste turque, je me retrouve pourtant aisément dans la musique de Poulenc que j’interprète sans barrière, dans un monde d’universalité musicale. J’arrive à établir une communauté spirituelle avec un public qui, forcément, n’appartient pas toujours aux mêmes sources culturelles que moi. C’est bien cette universalité des valeurs qui rapproche les peuples dans l’enrichissement de l’âme et de l’esprit qui sont sources de paix.

Mettre l’accent sur les divisions culturelles ne peut que susciter des conflits. L’Europe mérite peut-être une meilleure vision de son avenir que celle que vous lui proposez.

Recevez mes meilleurs vœux pour la conclusion de votre tâche historique vers une Europe unie, à vocation universelle et sans barrière !

Télécharger au format PDFTélécharger le texte de l'article au format PDF

Sources

Güher Pekinel est une pianiste turque.

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0