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Turquie : le syndrome de la crise

jeudi 10 avril 2008, par Dorothée Schmid

L’incohérence de l’agenda politique et économique du gouvernement turc pourrait produire un effet dissuasif à moyen terme sur les investisseurs, prévient Dorothée Schmid, de l’Ifri.

La crise politique turque débouchera-t-elle sur une crise économique ? La perspective d’une possible fermeture du parti AKP, qui gouverne le pays depuis 2002, accrédite cette hypothèse qui se répand dans le débat public turc avec la rapidité d’une rumeur.

Confirmant partiellement ces inquiétudes, l’agence de rating Standard and Poor’s a revu à la fin de la semaine dernière sa perspective de rating en « négative ». Simple précaution, leçon de l’expérience ou conclusion découlant de l’examen des fondamentaux de l’économie turque ? L’emballement des analystes semble en fait aujourd’hui se caler sur les soubresauts d’un système politique turc instable.

L’offensive des juges contre l’AKP n’est en effet que le dernier épisode d’une saga d’affrontements internes qui tiennent le débat démocratique turc en otage, entre marchandages occultes et menaces de coup d’Etat. Pour l’observateur extérieur, le paysage politique turc apparaît tiraillé entre des forces contradictoires, généralement classées en deux camps : les « kémalistes », défenseurs de la laïcité et partisans d’une Turquie occidentalisée, contre les « islamistes », qui ont certes entamé un programme de réformes impressionnant dans la perspective de l’adhésion à l’UE, mais sont maintenant accusés par les premiers de vouloir islamiser le pays.

Le vote récent d’une loi autorisant le port du voile pour les jeunes filles à l’université a cette fois-ci déclenché les hostilités. Quelle que soit la réalité des intentions des forces en présence, on constate désormais que le discours sur la crise économique est devenu un enjeu politique.

Si l’AKP a largement gagné les élections de l’été dernier, c’est notamment sur son bilan économique. Le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan symbolise le dynamisme d’un nouveau capitalisme anatolien sans complexes, capable de transformer la Turquie en un nouveau « dragon » aux portes de l’UE ; il a aussi effectué le gros œuvre de l’assainissement des structures économiques turques après la grave crise de 2001.

L’hypothèse d’une nouvelle crise, qui repose essentiellement sur l’importance des besoins de financement extérieur de l’économie turque dans une conjoncture de resserrement du crédit mondial, entame donc encore un peu plus la légitimité d’un gouvernement déjà fragilisé sur le plan politique. La Bourse d’Istanbul, qui a reculé de 30% depuis le mois de janvier, a dévissé de 7,5% après l’annonce du lancement de la procédure judiciaire, tandis que le mouvement de baisse de la livre se confirmait.

Même si la Bourse se reprend, l’examen de l’histoire économique récente incite à la prudence. La Turquie a connu trois crises économiques majeures sur les dix dernières années, en 1994, 1999 et 2001. En quoi les fondamentaux diffèrent-ils aujourd’hui ?

Les réformes entreprises avec le soutien du FMI ont largement porté leurs fruits. Le système bancaire a été restructuré ; l’inflation est passée sous le seuil des deux chiffres en 2006 ; la livre s’est appréciée tandis que l’industrie turque confirmait sa capacité de rebond, reposant en partie sur un secteur informel très réactif, capable de gagner régulièrement des marchés à l’exportation ; l’amélioration du climat des affaires, une législation plus favorable à l’investissement étranger, les privatisations, ont attiré une manne importante de capitaux de l’extérieur.

La Turquie, désormais quinzième économie mondiale, était en tête des performances de croissance de l’OCDE en 2007 (+4,5%). Sur le court terme, on notera que la baisse de la livre peut favoriser le dynamisme des exportations, que le recul précoce de la Bourse d’Istanbul a sans doute permis de dégonfler une partie des anticipations négatives, et pointer le niveau élevé des réserves en devises.

Reste que l’incohérence de l’agenda politique et économique du gouvernement turc pourrait produire un effet dissuasif à moyen terme sur les investisseurs. La voie de l’adhésion à l’Europe n’est pas vraiment dégagée et la recherche d’un nouvel accord avec le FMI ne semble pas acquise. Incertain dans ses choix fondamentaux, le gouvernement néglige ainsi ses principaux ancrages extérieurs.

L’avertissement de S&P intégrait la semaine dernière l’ensemble de ces incertitudes, dans un contexte de malaise généralisé des marchés financiers. Du côté turc, il semble qu’on ait besoin de jouer avec l’idée même de crise pour faire avancer les réformes ; le pays comptant finalement sur son éternelle capacité de rebond - entre psychologie d’ancien empire et appétit de nouveau dragon.

- Dorothée Schmid, responsable du programme « Turquie contemporaine » à l’Institut français des relations internationales (Ifri)

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Sources

Source : La Tribune.fr - 09/04/08

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