La France va finir par ressembler à l’homme malade de l’Europe. Hier pays des lumières, elle se donnait pour mission la propagation de la démocratie et des droits de l’homme. Aujourd’hui, elle doute tant d’elle-même, de ses valeurs et de sa capacité à les diffuser qu’elle craint de perdre son âme au cas où un conseil européen déciderait en décembre d’ouvrir des négociations avec la Turquie pour que celle-ci entre dans l’UE. Non pas demain mais dans... dix ou quinze ans, si elle remplit les conditions de l’UE !
Signe d’affliction, en quelques semaines, le débat sur l’adhésion d’Ankara est devenu hystérique puisque, sur cet objet extérieur qu’est la Turquie, ce sont toutes les angoisses hexagonales du moment qui se sont fixées. Angoisses identitaires et sociales face à un élargissement pas digéré. Tant que le moteur franco-allemand faisait tourner la machine, l’Europe rassurait. Mais Paris et Berlin ne donnent plus le la. Et les nouveaux entrants modifient aussi la donne économique, puisqu’il faudra partager les subventions de Bruxelles et rivaliser avec eux pour cette denrée chère qu’est l’emploi.
Quant au fait que l’Europe, qui a appris à compter en algèbre avec les Arabes, n’est plus judéo-chrétienne, il finit d’ajouter à l’inquiétude en ces temps où terrorisme rime vite avec islamisme. La Turquie a ainsi fini par cristalliser le détonnant cocktail des peurs françaises. Les partis de gouvernement auraient pu jouer la pédagogie et essayer de convaincre l’opinion que l’Europe a tout à gagner à compter dans ses rangs, demain, un pays à l’islam modernisé et démocratique plutôt qu’un voisin qui combattrait ses valeurs. A de notables exceptions, ils ont renoncé. Et ont préféré se retrouver pour tous proposer, hier, un « partenariat » à la Turquie, lequel existe depuis... quarante ans ! C’est ce qu’on appelle un débat pour rien. Sinon pour désespérer qu’arrière-pensées et courage-fuyons servent à ce point de boussole à la représentation nationale.