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« N’injurions pas l’avenir »

samedi 23 octobre 2004, par Bernard Guetta

Le Monde - 21/10/2004

Nous avons abaissé, snobé, blessé la Pologne. Au moment où nous tentons
de retrouver sa confiance, nous faisons pire avec la Turquie

Varsovie hier, Ankara maintenant, nous répétons la même erreur. Nous
gaspillons nos capitaux politiques, nous nous acharnons, aujourd’hui, à
perdre l’amitié de la Turquie comme nous avions tout fait, il y a
quinze ans, pour bafouer la Pologne.

Les Polonais avaient une passion pour la France. Nous étions à leurs
yeux - et c’était vrai - la nation qui s’était le plus totalement
solidarisée avec Solidarité. Tout faisait d’eux des alliés de choix
dans l’Europe en gestation, mais, non contents de n’avoir jamais
cherché à comprendre ce qu’étaient leurs ambitions et leur regard sur
le monde, nous avons tant laissé voir nos réticences devant
l’élargissement que nous les avons dressés contre nous.

Cette maladresse avait ses raisons. Habitués à conduire l’Europe avec
le soutien allemand, nous nous interrogions sur notre place dans une
Union à vingt-cinq. Tout à notre projet d’Europe-puissance, nous
mesurions que les pays sortis du soviétisme préféreraient consolider
l’Alliance atlantique plutôt qu’affirmer un nouveau pôle occidental.

Nous n’avions pas tort. Le problème était réel mais, au lieu d’en
débattre, de chercher à rapprocher la Pologne de nos thèses, nous avons
voulu croire qu’elle ne compterait pas. Nous l’avons abaissée, snobée,
blessée, et c’est au moment même où nous tentons de retrouver sa
confiance que nous faisons pire encore avec la Turquie.

Soit qu’ils aient peur d’inclure 80 millions de musulmans dans l’Union,
soit qu’ils pensent que ce nouvel élargissement tuerait pour longtemps
l’idée d’Europe politique, les trois quarts des Français et la majorité
de leurs élus se dressent dans un refus des Turcs. Avant même d’avoir
vérifié la validité de ces craintes par les quinze années de
négociations à venir, nous leur jetons ce « non ! » vindicatif au visage
comme s’ils étaient, cimeterre entre les dents, les factotums de
l’Amérique.

Nous les giflons comme s’ils étaient des envahisseurs primitifs et non
pas cette vieille nation qui s’est tournée vers l’Europe depuis plus
d’un siècle et demi, à laquelle nous avons fait des promesses et pour
laquelle l’Europe était, avant tout, la France, sa langue et sa
République.

Arrêtons là ! Cessons de faire de nos amis nos ennemis ! Redevenons
rationnels, car le seul pays qui soit un obstacle durable sur la voie
de l’Europe politique est déjà membre de l’Union. C’est la
Grande-Bretagne, et, pour la faire bouger un jour, nous avons besoin de
connivences et pas d’isolement, d’amis avec lesquels aller plus loin
plus vite et pouvoir anticiper la puissance européenne au sein de
l’Union.

Nous le pourrions avec la Turquie comme nous le pourrons avec la
Pologne, car l’une et l’autre ont envie d’exister sur la scène
internationale, ont une revanche à prendre sur de longues éclipses, et
verront bientôt - commencent à voir déjà - qu’elles ne le peuvent pas
plus que nous en dehors de l’Europe.

Leur évolution sera la nôtre. N’injurions pas l’avenir.

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