Entre la Turquie et l’Occident, c’est à une joyeuse pollution de l’atmosphère que nous assistons. Les évènements de ces derniers jours n’ont d’ailleurs pas peu contribué à aggraver ce climat pollué, voire à l’aggraver en des proportions dangereuses et menaçantes. En fait, vous savez parfois ces émanations nocives de la centrale de Yatagan, et bien c’est à peu près la même chose.... Le côté déplorable de l’affaire, c’est que cette pollution soit parvenue à un degré très probable de « prolétarisation » et « d’arabesquisation » . L’attitude sévère et (partiale ?) que la FIFA, suite aux sinistres événements que nous avons vécu à la fin du match contre la Suisse, a pris à l’ encontre de la Turquie nous est dès à présent servi dans le cadre d’un classique :« l’Occident notre ennemi ». Et ça ira en s’échauffant. C’est ainsi : nous ne sommes en rien coupables, c’est l’Occident qui nous a pris pour cible !
« Au diable, l’Occident ! »
Si la FIFA et l’UEFA en venaient à interdire la Turquie de participation à des tournois à venir, cette attitude nous lancerait alors comme une blessure purulente pendant des années. Je ne parle pas ici de l’atmosphère politique mais de l’ambiance culturelle (civilisationnelle ?) sans pour autant nier qu’elle ait aussi des répercussions politiques. L’attitude négative adoptée par l’UE à l’encontre de la Turquie depuis des années a convenablement préparé les esprits à une telle évolution. Les nationalisme et patriotisme actuels tentent d’ailleurs de prospérer sur ce terreau. Maintenant, Fatih Terim (sélectionneur national de l’équipe turque de football, ndlt) en grand spécialiste de la tension qui essaye désormais de se consoler en se récitant la berceuse du « au diable, l’Occident » et le président de la fédération turque de football avec son regard atterré, auraient dû tous les deux être en mesure de prévoir cet enchaînement de faits. Après tout, ne sommes-nous pas les locuteurs d’une langue riche d’un fameux aphorisme : « Qui sème le vent récolte la tempête ! » Prenons tout de même garde que dans cette tempête ce soit « l’Occident qui coule » et non le football turc !
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Et puis il semble que le premier ministre Recep Tayyip Erdogan se mette à siffler un air similaire ! Je ne vise pas ici que la saillie dont il s’est rendu responsable à l’encontre de ce représentant de l’Occident qu’est la Cour Européenne des Droits de l’Homme à l’occasion d’une décision rendue au sujet du foulard islamique en déclarant à peu près en ces termes que « les Occidentaux ne pouvaient rien y entendre et qu’il fallait s’en remettre à l’avis des oulémas ». Nombreux sont ceux qui ont condamné cette intervention comme une violation nette et ouverte du principe de laïcité. Il n’y a rien à ajouter.
Mais entre temps, lors d’un voyage au Danemark, Tayyip Erdogan s’est fendu d’une déclaration à laquelle on a peu prêté attention. Lors du vernissage d’une exposition, il a été confronté à la question suivante : « si vous deviez choisir, vous garderiez le respect aux choses sacrées ou bien la liberté d’expression ? » Et Erdogan sans hésitation aucune de donner la priorité au respect du religieux et non des libertés publiques.
De cette façon, il s’est positionné en complète opposition à une civilisation occidentale qui a consenti 500 ans d’efforts pour en arriver à sa situation actuelle. D’abord le sacré, ensuite la liberté. La liberté tant qu’elle ne contredit pas le sacré !
Le paradoxe turc
Or il n’est plus à démontrer que la préférence de l’Occident penche nettement en faveur des libertés publiques. Dans ce cadre, même les croyances sacrées peuvent faire l’objet de critiques. Et c’est d’ailleurs par cette critique que l’Occident a pu devenir ce qu’il est devenu. En se gardant tout de même de ce que cette critique n’atteigne la dimension d’une diffusion de la haine du genre de ce qu’on appelle les « hate speech ». Par exemple, vous pouvez très bien dire, écrire ou dessiner que vous trouvez étrange ou absurde le culte hindou rendu aux vaches sacrées. Mais vous ne pouvez pas pousser cette critique du sacré au point de sous estimer et de faire des Hindous en général un objet de haine. C’est un domaine délicat dans lequel le droit occidental n’a pas totalement fixé de limites. Dans lequel les recherches se poursuivent encore. Il n’en demeure pas moins qu’en Occident, la préférence aurait été donnée à la liberté d’expression.
Tout en agonisant l’Occident d’injures au fil des divers évènements, n’oublions cependant pas que la spécificité de la République turque est d’être un pays né d’un long combat contre l’Occident mais aussi fondé selon les critères de ce même Occident. Ce qui constitue un effort radical et sans équivalent. Et si la Turquie a pu parvenir quelque part aujourd’hui, c’est bien grâce à cette préférence.
Les facilités du genre « au diable l’Occident » sont les plus capables de nous envoyer à tous les diables : que ce soit en football, ou en politique...