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Le partenariat privilégié avec la Turquie est un combat d’arrière-garde

mardi 5 avril 2005, par Cengiz Aktar

Europeus.org - vendredi, 25 mars 2005

Le conseil national de l’UMP s’est réuni le 6 mars à Paris pour adopter, à plus de 90 % des voix, la motion sur la ratification du traité établissant une constitution pour l’Europe et pour réaffirmer l’opposition à l’adhésion de la Turquie en lui préférant la formule de partenariat privilégié. Cette formule magique au sujet des relations avec la Turquie est plaidée, depuis l’été, par les opposants à l’adhésion de la Turquie, à tel point qu’elle a fait l’objet d’une sainte alliance entre le chrétien-démocrate allemand Edmund Stoiber et Nicolas Sarkozy, en janvier dernier. De quoi s’agit-il ? Historiquement parlant, les opposants à l’adhésion turque affirment que cette question n’a jamais fait l’objet de débat. C’est inexact. Depuis 1990, les pays membres ainsi que la Commission cherchent des alternatives à l’adhésion de la Turquie comme membre à part entière. Ainsi le 7 juin 1990 la Commission propose une formule, le « paquet Matutes », portant le nom du commissaire espagnol qui l’a préparé, et qui fait une série de propositions visant un statut spécial. Mais le Conseil ne l’entérine pas. Plus récemment, fin 2002, avant le sommet de Copenhague, un proche conseiller de Romano Prodi, et ancien responsable pour la Turquie à la Commission, relance l’idée d’un statut spécial. En fait, le problème réside dans le fait que ni la Commission ni les États membres ne savent vraiment en quoi pourrait consister concrètement une formule alternative à l’adhésion. Cette interrogation est encore valable aujourd’hui.

En effet, lorsque l’on passe en revue la maigre littérature sur le sujet, on se rend vite compte que les avocats du partenariat privilégié n’ont pas beaucoup réfléchi à son contenu. Dans les documents officiels des deux partis de la majorité, UMP et UDF, résolument hostiles à l’adhésion de la Turquie, on ne trouve rien de consistant. Il existe, à notre connaissance et à ce jour, deux tentatives pour mettre un peu de contenu dans ce partenariat, celle de Jean-Dominique Giuliani, le 5 octobre, et celle de Jacques Toubon, le 24 novembre, publiées toutes les deux dans le Figaro. Leurs propositions restent malheureusement superficielles et ignorent les principales données des relations entre l’Union et la Turquie. Leur ton, foncièrement méprisant et assurément démodé lorsqu’ils parlent de la nécessité de l’aide au développement au sujet de cette Turquie dont la balance commerciale avec l’Union dégage un déficit moyen de 10 milliards d’euros par an depuis 1996, trahit une connaissance mal maîtrisée d’une réalité complexe. Ces textes sont en fait des pamphlets rédigés à la va-vite afin d’influer sur le cours des choses avant le sommet de Bruxelles, du 16 et 17 décembre 2004.

Fort heureusement la France ne manque pas de ressources ni de raison pour dire la vérité crue. En effet, les sages du Palais de Luxembourg expliquent de manière limpide les tenants et les aboutissants de ce partenariat privilégié dans un rapport d’information (nº 279) très complet, après une mission entreprise en février 2004, rédigé par Robert Del Picchia et le président de la délégation du Sénat pour l’Union européenne, Hubert Haenel. Passant en revue la candidature de la Turquie, voilà ce que les sénateurs disent au sujet du partenariat privilégié : « La Turquie connaît déjà une union douanière avec l’Union européenne, mais cet accord exclut les produits agricoles et les services. Dans ce domaine, un partenariat privilégié pourrait consister en une intégration complète de l’économie turque dans le marché unique. Cependant, la faiblesse de conception de cette union douanière est que le partenaire, en l’occurrence la Turquie, doit aligner sa législation sur la législation communautaire sans pour autant participer au processus de décision européen. » Rappelons à ce titre que ces concessions ont été faites par la Turquie lors des négociations de l’union douanière dans la mesure où celle-ci était toujours considérée par les parties comme une étape de l’adhésion. Poursuivons : « Si le partenariat privilégié signifie la participation à certaines politiques communes, il ne peut s’agir que de politiques encore marginales dans le budget européen comme la politique de la recherche ou de l’éducation. La participation à la politique agricole commune ou à la politique régionale, qui représentent environ 80 % du budget européen, ne semble pouvoir se faire pour des raisons diverses que si le pays est un membre à part entière. Comment accepter les contraintes de la politique agricole commune sans en partager les décisions ? Comment faire participer à la politique de cohésion, censée marquer la solidarité entre les États membres, un pays non membre ? »

Voilà des réponses claires à ceux qui pensent qu’un simple élargissement du cadre de l’union douanière réglerait l’affaire. Et au sujet des questions de politique étrangère et de politique intérieure, les sénateurs nous disent : « La participation de la Turquie aux deux autres piliers que constitue la construction européenne - justice et affaires intérieures, politique étrangère et de sécurité commune - pourrait plus facilement, d’un point de vue technique, faire l’objet d’un partenariat privilégié, car il s’agit de domaines déjà à dominante intergouvernementale et non communautaire », cependant « le secteur de la justice et des affaires intérieures représente un transfert de souveraineté important et sensible, qui ne peut s’entendre que si l’ensemble des partenaires se trouve sur un pied d’égalité ». De même pour la sécurité commune : « Cependant, pour la Turquie, quel pourrait être l’avantage de participer à un tel partenariat privilégié sans être membre de l’Union européenne, alors qu’elle est déjà un membre important de l’OTAN ? » Et de conclure : « Le contenu d’un partenariat privilégié est donc problématique. »

Sur le plan juridique, l’article 57 de la constitution auquel se réfèrent les tenants du partenariat privilégié et parmi eux Nicolas Sarkozy en premier, pour justifier leur position, comporte deux paragraphes généraux comme il se doit dans un texte constitutionnel et dont le premier énonce : « L’Union développe avec les pays de son voisinage des relations privilégiées, en vue d’établir un espace de prospérité et de bon voisinage, fondée sur les valeurs de l’Union et caractérisé par des relations étroites et pacifiques reposant sur la coopération. » Et le suivant : « Aux fins du paragraphe 1, l’Union peut conclure des accords spécifiques avec les pays concernés. Ces accords peuvent comporter des droits et obligations réciproques ainsi que la possibilité de conduire des actions en commun. Leur mise en œuvre fait l’objet d’une concertation périodique. » Le moins que l’on puisse dire à la lecture de cet article, c’est qu’il désigne les modalités générales de futures relations de voisinage que l’on appelle d’ores et déjà la « nouvelle politique de voisinage » dans le jargon bruxellois. Dirigée par la commissaire autrichienne responsable des Relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner, cette politique ne concerne pas la Turquie qui a dépassé depuis longtemps le stade de « bon voisinage ». De fait, elle relève de la compétence du commissaire à l’Élargissement, le Finlandais Olli Rehn.

Enfin, il serait opportun de rappeler au sujet de ce débat qu’une partie, en la personne des opposants à l’adhésion de la Turquie, veut soudain changer les règles du jeu, en totale violation d’un des principes fondamentaux du droit des relations internationales, à savoir, pacta sunt servanda, qui signifie que tout traité en vigueur, en l’occurrence l’accord d’Ankara de 1963 et les conclusions des Conseils européens de Helsinki, de Copenhague, et maintenant de Bruxelles, lie les parties et doit être exécuté par les parties de bonne foi. Le partenariat privilégié ou toute autre formule comparable qui ferme la porte à l’adhésion de la Turquie relève de cet état des choses. Le partenariat privilégié rappelle la triste phrase d’un dirigeant de l’extrême droite, il y a quelques années, qui avait déclaré, lorsqu’on lui avait rappelé ses préférences pour passer des vacances sur la côte égéenne turque, qu’il aimait bien les Turcs, mais chez eux. Somme toute, le partenariat privilégié reste une demi-mesure destinée à empêcher l’intégration politique tout en conservant une Turquie « amie infaillible » et gardant les marches sud-est du continent.

Cengiz Aktar est professeur d’études européennes à l’Université de Galatasaray d’Istanbul et auteur de Lettres aux turco-sceptiques, aux éditions Actes Sud.

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