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La Turquie, casse-tête de la présidence française

mardi 1er juillet 2008, par Arnaud Leparmentier, Patrick Roger , Philippe Ricard

La candidature de la Turquie à l’Union européenne (UE) menace d’empoisonner l’été de Nicolas Sarkozy, qui doit concilier les pressions anti-turques de sa majorité avec la nécessité de ménager Ankara dans une période très sensible.

La tenue obligatoire d’un référendum en cas d’adhésion de ce pays à l’UE devient une pierre d’achoppement de la révision constitutionnelle française, censée être bouclée en juillet. En présidant l’UE, le chef de l’Etat devra gérer les conséquences d’une éventuelle interdiction de l’AKP au pouvoir par la Cour constitutionnelle turque, en raison de sa volonté supposée d’islamiser le pays.

Mardi 17 juin, les sénateurs français ont unanimement critiqué la disposition adoptée à l’Assemblée nationale rendant obligatoire un référendum sur l’adhésion à l’UE des pays dont la population représenterait plus de 5 % de celle de l’Union. Cette formulation, a souligné le président (UMP) de la commission des affaires étrangères, Josselin de Rohan, « réserve un traitement particulier à la Turquie sans toutefois la nommer ». L’objectif des députés était de réserver à la seule Turquie la réforme adoptée en 2005 sous Jacques Chirac, qui rendait obligatoire un référendum pour toute nouvelle adhésion. « Inscrire dans la Constitution une disposition allant directement à l’encontre d’un pays ami et allié, c’est à l’évidence porter un grave préjudice aux relations avec ce pays », a défendu le sénateur du Morbihan, la jugeant « discriminatoire ». En commission, un amendement laissant au président de la République la liberté de choisir le référendum ou la ratification parlementaire, a été accepté à l’unanimité des groupes du Sénat.

M. de Rohan a jugé la disposition de l’Assemblée « inutile » : le projet constitutionnel permet d’exiger un référendum à l’initiative d’un cinquième des parlementaires soutenue par une pétition citoyenne (un dixième du corps électoral). L’Elysée et Matignon misent sur cet argument pour convaincre les députés de la majorité qui conditionnent leur vote sur la réforme institutionnelle à l’adoption d’un dispositif particulier sur la Turquie.

M. Sarkozy doit faire reculer les députés, alors qu’il avait lui-même encouragé leur initiative. Il ne veut pas, quoi qu’il arrive, que la réforme capote sur la question turque. Devant les sénateurs, le premier ministre François Fillon a glissé un caillou dans la chaussure de M. Sarkozy. Relevant que la disposition adoptée à l’Assemblée « rejoint l’orientation profonde » du président de la République, il s’en est démarqué : « Faut-il pour autant inscrire cet engagement dans notre texte constitutionnel ? », s’est-il interrogé. « Beaucoup d’entre vous ne partagent pas cet avis, a poursuivi M. Fillon, s’adressant aux sénateurs. Mon sentiment se rapproche du vôtre. »

Le débat français affecte les relations avec Ankara, alors que le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan n’a pas confirmé sa présence à Paris le 13 juillet pour le lancement de l’Union pour la Méditerranée, longtemps perçue en Turquie comme une tentative de saboter son adhésion à l’UE. M. Sarkozy a promis d’être le « porte-parole loyal et impartial » des 27 lors de sa présidence de l’UE.

En Europe, tout se poursuit comme si de rien n’était. Les Vingt-sept ont ouvert, mardi 17 juin, deux nouveaux chapitres de négociation avec Ankara (droit des sociétés et propriété intellectuelle), ce qui porte à huit sur 35 les chapitres en discussion. Paris s’est engagé à en ouvrir deux à trois supplémentaire au second semestre.

Mais chacun scrute la Cour constitutionnelle turque, susceptible d’interdire l’AKP, après des plaidoiries en juillet. Cette décision jugée probable pourrait interdire d’exercice un gouvernement démocratiquement élu et s’apparenterait à un « putsch judiciaire », incompatible avec les critères démocratiques européens. Le commissaire à l’élargissement Olli Rehn préconise un « gel » informel et temporaire des pourparlers, pour marquer le coup, mais pas une suspension des négociations. Une telle initiative « risquerait de donner des munitions aux adversaires du rapprochement avec l’Europe » au sein du camp laïc turc, indique la Commission.

La France ne veut même pas de coup de semonce : le Quai d’Orsay considère qu’une interdiction de l’AKP « ne devra pas interférer » avec les négociations. Pour l’Elysée, il s’agit d’une « affaire intérieure ». « Si Erdogan nous demandait de faire un petit geste, on l’étudierait. On est là pour aider la démocratie turque à passer ce cap redoutable », indique-t-on.

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Sources

Source : Le Monde, le 19-06-2008

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