Farouche opposant de l’entrée de cet Etat dans l’Union européenne, Nicolas Sarkozy doit se rendre en Turquie vendredi prochain. Un séjour éclair de quelques heures dans la seule ville d’Ankara qui suscite la déception dans un pays en pleine croissance économique et à la position stratégique évidente. L’universitaire Cengiz Aktar, spécialiste des questions européennes, ne comprend pas cette cécité française à l’égard de la Turquie.
La dernière visite officielle d’un président français en Turquie date de 1992, c’était François Mitterrand. Cela va faire vingt ans.
C’est déjà en soi exceptionnel. Je pense que la Turquie fait vraiment exception : aucun autre pays n’a été traité de cette manière. Peut-être le Liechtenstein… Mais après vingt ans donc, un président arrive et il fait tout pour nous dire qu’il ne vient pas officiellement, qu’il s’agit d’une visite de travail, en tant que président du G20. Bien sûr, les Turcs vont profiter de sa présence pour lui dire clairement ce qu’ils pensent de la position française sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Ils ne vont pas le laisser partir sans lui dire deux mots sur sa vision de la Turquie ! C’est évidemment là que le bât blesse entre les deux pays, depuis que Nicolas Sarkozy est arrivé au pouvoir.
Il y a beaucoup de réticences et d’obstacles sur ce processus d’adhésion, notamment sur la question chypriote.
Mais même Chypre ne dit pas des choses telles que « La Turquie ne sera jamais membre de l’UE ». Le blocage de l’administration Sarkozy est une opposition radicale. En France, il y a une confusion entretenue délibérément par la droite, mêlant islamophobie et turcophobie, depuis que l’adhésion de la Turquie est devenue une réalité envisageable. Elle n’a pas hésité à brandir l’épouvantail turc avant chaque élection pour gagner quelques voix. On crie au loup mais le loup n’arrive pas.
En termes d’intérêts stratégiques et surtout économiques, cette position n’est pas tenable. C’est d’ailleurs pour cela que malgré la période, à un an des élections, Nicolas Sarkozy a décidé de venir. La France perd du terrain en Turquie et, depuis 2004, les milieux d’affaires le savent et le disent. Les acteurs économiques et culturels sont ceux qui arrivent à évaluer à sa juste valeur la dynamique turque. Pas les politiques. Pourtant, il y a des intérêts diplomatiques convergents, mais ils sont très mal exploités. Aujourd’hui, on parle de modèle turc dans la région. Mais si l’UE et la France en particulier avaient réussi à faire la bonne analyse concernant l’atout que représente la Turquie, les portes et les bras leur seraient grands ouverts.
En fait, peut-être Nicolas Sarkozy a-t-il un problème profond avec ses racines ottomanes ? Car une partie de sa famille, du côté maternel, avait la citoyenneté ottomane, et vivait à Salonique.
Son grand-oncle Asher Mallah est diplômé du même lycée que moi, le lycée Galatasaray d’Istanbul. La France est un pays métissé. Elle ne devrait pas voir la Turquie comme une menace. Le 25 février, Nicolas Sarkozy ne visitera que la capitale, Ankara. Il ne viendra pas à Istanbul. Je pense qu’au fond Nicolas Sarkozy a peur de faire connaissance avec la véritable Turquie. Il risquerait sans doute de changer d’avis.