Alors même que les préparatifs de la présidence française de l’Union européenne (qui débutera le 1er Juillet 2008) battent leur plein, M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’Etat français chargé des Affaires européennes, donnait, lundi 7 avril 2008, à Bruxelles, une conférence portant sur le sujet suivant : « La Présidence française de l’Union européenne : enjeux et perspectives dans une année charnière ».
L’intervention du secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes a donc principalement concerné le programme de cette présidence et s’est attachée à en mettre en exergue les quatre grands axes, à savoir : le changement climatique et l’énergie ; la défense ; l’immigration ; l’agriculture et la santé alimentaire et sanitaire. Toutefois, bien que M. Jouyet n’ait pas abordé d’emblée, dans son intervention, la question de l’Union pour la Méditerranée (UPM), cette conférence fut aussi finalement l’occasion de faire le point sur l’état d’avancement de ce projet, après le Conseil européen des 13 et 14 mars 2008, lors duquel les chefs d’Etat et de gouvernement des 27 Etats membres y ont souscrit.
C’est, en réalité, au cours de la séance des questions que l’UPM est venue sur la table et que la question de l’engagement turc dans ce projet a également été évoquée. M. Jean-Pierre Jouyet a d’abord voulu dire que la Turquie était « la bienvenue dans l’Union pour la Méditerranée », tout en insistant sur le fait que cette Union n’était « en aucun cas un échappatoire aux discussions normales [soit les négociations d’adhésion actuellement en cours] qui doivent avoir lieu entre la Turquie et l’Union européenne ». Cette déclaration liminaire reflète bien les efforts que fait actuellement la France pour faire oublier l’image initiale de l’UPM, souvent présentée comme une solution alternative à l’adhésion pleine et entière de la Turquie à l’Union Européenne (cf. notre édition du 10 mars 2008). Mais on peut y voir aussi la conviction d’un secrétaire d’Etat, qui s’est déjà distingué par une prise de position en faveur de l’abrogation de l’obligation constitutionnelle de soumettre tout nouvel élargissement européen à référendum (projet de révision de l’article 88-5 de la Constitution française, cf. notre édition du 15 septembre 2007) et qui s’est souvent déclaré favorable dans le passé à la candidature de la Turquie. Quoi qu’il en soit, la position française, tant sur le projet d’UPM que sur la candidature de la Turquie, semble désormais plus claire. Les négociations avec Ankara suivront leurs cours et l’UPM, à l’instar du « Processus de Barcelone », dont la Turquie est membre, sera un cadre de coopération bien distinct.
Quant au contenu du projet en lui-même, M. Jouyet a exposé quelle en était désormais l’ossature, rappelant le long processus de maturation qui s’est déroulé entre l’allocution du candidat Sarkozy, à Toulon, le 7 février 2007 (évoquant pour la première fois, le projet d’une « Union méditerranéenne »), et le Conseil européen des 13 et 14 mars 2008 (consacrant la version définitive de ce qui est devenu « l’Union pour la Méditerranée »).
Selon le secrétaire d’Etat, l’idée centrale du projet est de « corriger les déséquilibres du Partenariat Euroméditerranéen », dus notamment à une primauté européenne au sein des structures de décision de ce dernier. Pour ce faire, il y aura une co-présidence de l’UPM, assurée par un pays méditerranéen et un Etat membre de l’Union, pour deux ans. Cette présidence bicéphale devrait être réservée, par ailleurs, dans un premier temps, aux Etats membres riverains de la Méditerranée. La création d’un secrétariat permanent, dans lequel seraient représentés le Conseil de l’Union Européenne, la Commission et les Etats partenaires, est également prévue. Autre caractéristique essentielle : cette Union se concentrera sur des projets concrets, dont le financement sera assuré par des fonds communautaires, mais également par le biais de financements privés et publics extérieurs au cadre communautaire. À l’heure actuelle, les projets envisagés concernent l’environnement (dépollution de la Méditerranée, développement de l’accès à l’eau potable, lutte contre les feux de forêt, préservations des littoraux...), l’échange des savoirs (avec comme projets-phares, un espace scientifique méditerranéen et la mise sur pied d’un « Erasmus Méditerranéen », une idée lancée à l’origine par l’ex-Président Jacques Chirac et qui devrait viser à étendre les bénéfices du programme européen « Erasmus » à l’espace méditerranéen), le développement économique, la sécurité et la gestion des flux migratoires.
Il résulte de l’état des lieux dressé par M. Jouyet, que le projet validé par le Conseil européen de mars 2008, n’a plus grand-chose à voir avec la formulation initiale de « l’Union méditerranéenne ». Un compromis a été nécessaire, en effet, pour satisfaire certains partenaires européens (en particulier l’Allemagne) inquiets, voire même réticents au départ. L’apport majeur des dernières évolutions survenues est l’arrimage du projet d’UPM au « Partenariat Euromediterranéen » existant. Il s’agit désormais de « corriger » le « Processus de Barcelone » et non de le concurrencer par une initiative distincte comme cela semblait être le cas à l’origine. D’ailleurs, la Commission européenne sera désormais pleinement associée. Enfin, l’idée de réserver l’UPM aux seuls pays riverains de la Méditerranée a été abandonnée, et désormais tous les pays de l’Union Européenne y seront donc associés.
Ce projet, ayant reçu l’aval des 27, c’est désormais à la Commission européenne qu’incombe le soin de mettre en œuvre cette initiative, qui reste, somme toute, à l’état d’ébauche. En résumé, la France a fait passer l’idée, et la Commission doit en faire maintenant une opération viable. Vaste travail, quand on sait les nombreuses incertitudes qui demeurent. Le contenu, tout d’abord, est loin d’être défini. Les projets évoqués pour l’instant ne sont que des propositions, et ne résument pas en eux-mêmes ce que devra être l’UPM à l’avenir. La question des modes de financement est également une source de préoccupation. Car, si les Etats non riverains ont souhaité être associés, ils ne semblent toutefois pas prêts à dépenser plus qu’ils déboursaient pour le « Partenariat Euroméditerranéen ». L’articulation de cette Union avec les politiques existantes (« Partenariat Euroméditerranéen », Politique européenne de voisinage, politique d’élargissement, dialogue 5+5 avec les pays du Maghreb…) est également à préciser, et peut se révéler délicate.
L’espace méditerranéen est, en effet, caractérisé par un empilement de politiques successives élaborées à des époques différentes, compromettant parfois la logique globale de l’approche européenne vis-à-vis de cette région. Par ailleurs, l’UPM est sur certains points en retrait par rapport à des dispositifs existants. La question des droits de l’Homme et des valeurs démocratiques n’est pas en particulier clairement à son ordre du jour, M. Jouyet ayant à ce sujet souligné la nécessité de commencer par des projets concrets. Or, l’un des rares acquis du « Processus de Barcelone », accentué par la Politique de voisinage, est l’importance prise par les questions humanitaires dans les relations de l’Europe avec les pays du Sud. Il n’est donc pas impossible que l’UPM ouvre la voie à une coopération « à la carte » pour les gouvernements des pays méditerranéens, qui pourront dès lors choisir de conduire leurs relations avec l’Union Européenne, dans un cadre moins contraignant sur le plan politique, que celui des politiques existantes.
En outre, en ne faisant qu’amender le « Processus de Barcelone », l’UPM s’expose aux mêmes risques que ce dernier. Bien qu’elle s’efforce, en effet, à bon escient, de renforcer la coopération Sud-Sud autour de projets concrets, elle demeure en réalité sensible aux aléas des conflits existant dans l’aire méditerranéenne, tout comme l’est le « Processus de Barcelone ». L’UPM pourrait même être confrontée à un blocage, puisque le principe de co-présidence suscite de fortes réticences de la part des pays arabes, qui refusent pour la plupart l’hypothèse d’être représentés par Israël. Ce à quoi s’ajoute les objections de la Turquie, qui craint que cette Union ne soit qu’un expédient, pour la tenir écartée de l’UE.
À la Commission, un certain scepticisme domine. Nombre de fonctionnaires ne voient pas bien comment mettre en œuvre ce projet, et craignent qu’il n’en ressorte une énième politique méditerranéenne infructueuse. Quoiqu’il en soit, la marche à suivre concernant l’UPM devra être rapidement déterminée, car le lancement officiel de cette dernière aura lieu, lors de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement des pays concernés, le 13 Juillet 2008, à Paris. En attendant, la prochaine visite en Turquie de M. Jean-Pierre Jouyet, annoncée lors de cette conférence à Bruxelles, sera sans doute l’occasion de lever les dernières réticences des Turcs, pour qu’ils se décident enfin à participer au projet l’UPM.