Des négociations confidentielles entre Ankara et Erevan, révélées par les médias turques, pourraient modifier les équilibres stratégiques dans une région sous tension. Les presses arménienne et azerbaïdjanaise tentent d’évaluer les chances de cette ouverture historique.
Le 8 juillet, à Berne, « les responsables turcs et arméniens ont tenu des négociations directes afin de relancer le dialogue entre les deux pays voisins », annonce le quotidien turc Hürriyet de source officielle. Ankara et Erevan n’ont pas de relations diplomatiques et la fermeture de leur frontière plonge l’Arménie dans un quasi blocus géographique et économique. En cause, la non-reconnaissance par la Turquie du génocide arménien de 1915. De part et d’autre, les responsables turcs et arméniens veulent faire preuve de bonne volonté.
L’intensification du dialogue pourrait se concrétiser à travers deux événements. Le 24 juillet, le président turc Abdullah Gül « envisage de visiter les ruines d’Ani, capitale antique de l’Arménie [en Anatolie], où se déroulent des travaux de restauration de monuments [chrétiens et musulmans] », informe le journal arménien Novoïé Vremia. Par ailleurs, le président arménien Serge Sarkissian, partisan de la normalisation des relations avec Ankara, a invité Gül à Erevan le 6 septembre pour assister au match de foot Arménie-Turquie dans le cadre des qualifications pour la Coupe du monde 2010. L’invitation est « à l’étude » à Ankara, note le quotidien Zerkalo d’Azerbaïdjan, pays voisin qui craint pour ses propres intérêts.
En effet, le réchauffement probable des relations entre Erevan et Ankara, l’allié le plus fidèle de l’Azerbaïdjan, notamment dans la question du retrait des troupes arméniennes du territoire du Haut-Karabakh séparatiste, a suscité une certaine nervosité à Bakou et en a surpris plus d’un. « Même si la Turquie ouvrait sa frontière avec l’Arménie, cela ne servirait à rien, car tant que l’Azerbaïdjan n’ouvrira pas la sienne, aucune marchandise ne pénétrera en Arménie, tente de rassurer le webzine Day.az. Par ailleurs, l’opinion publique turque ne permettra pas à son gouvernement de normaliser les relations avec l’Arménie sur le dos de l’Azerbaïdjan. Il est peu probable qu’en échange des gestes de bonne volonté d’Erevan, la Turquie sacrifie sa relation stratégique avec l’Azerbaïdjan. » Pour Bakou, le règlement du conflit du Haut-Karabakh est un préalable à toute ouverture du dialogue arméno-turc.
Côté arménien, dans les pages de Novoïé Vremia, le leader du parti nationaliste Dachnaktsioutoun, Kiro Manoïan, avoue « comprendre les inquiétudes de Bakou, car il sortira perdant » du réchauffement des relations turco-arméniennes. Il doute néanmoins de la capacité de la Turquie à réellement faire une ouverture décisive vers Erevan. « Cette bonne volonté ne sera que de façade, rien de plus. L’Arménie, elle, n’a pas les moyens de céder sur quoi que ce soit. »
Cependant, des voix pragmatiques se font entendre des deux côtés. Pour Zerkalo, « Bakou devrait agir plus intelligemment, accepter les règles du jeu d’Ankara et tirer profit des divergences arméno-turques. Si Ankara règle sa discorde avec Erevan, ce dernier pourra alors se montrer plus constructif sur le Haut-Karabakh ». Dans Novoïé Vremia, l’ancien Premier ministre arménien Armen Darbinian estime qu’inviter Abdullah Gül est « une initiative brillante de la diplomatie arménienne. Elle met le pays dans une posture gagnante indépendamment de la réponse turque. Non seulement nous devons coexister avec la Turquie sous le même soleil, mais se développer, et pourquoi pas conjointement. »