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Sevil Sevimli. Appel du GIT France pour les étudiants emprisonnes en Turquie

dimanche 4 novembre 2012, par Groupe International de Travail

Le GIT France est pleinement mobilisé sur le cas emblématique de Sevil Sevimli, innocente du crime qu’on lui impute. L’issue de son procès, le 19 novembre à Bursa, sera un test pour la démocratie en Turquie et la situation de la liberté de recherche et d’enseignement dans ce pays.

Sevil Sevimli en instance de jugement en Turquie pour « collusion avec une organisation terroriste »

Le sort de l’étudiante de l’Université Lyon II Sevil Sevimli, actuellement inculpée de « collusion avec une organisation terroriste » (sic), libérée conditionnellement après trois mois de détention particulièrement éprouvante pour une jeune fille de santé fragile, interdite de quitter la Turquie, soumise aux délais démesurés des procès politiques turcs, est emblématique de la situation tragique de la liberté de recherche et d’enseignement en Turquie. « Plus de 600 étudiants et un millier de lycéens ont été arrêtés ces derniers mois pour leur proximité avec les milieux de gauche. Des centaines d’autres ont fait l’objet d’enquêtes ou d’exclusions, de tracasseries administratives pour leurs idées politiques supposées », souligne le correspondant du Monde, Guillaume Perrier (avec Richard Schittly à Lyon, « Le désarroi de la famille de Sevil, étudiante lyonnaise détenue pour terrorisme en Turquie », Le Monde, 27 juin 2012).

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Arrestation de Sevil Sevimli

Innocente des charges criminelles qui lui sont imputées, Sevil Sevimli symbolise le destin de ces jeunes de Turquie arrêtés pour « terrorisme », emprisonnés dans l’attente de jugements sans cesse repoussés, chassés de leur lycée ou de leur université, isolés de leur famille et de leurs amis, soumis aux conditions carcérales les plus dures, et dont le seul crime est d’avoir réclamé de meilleures conditions d’enseignement, la gratuité des études, la fin de la censure sur les contenus d’enseignement et les sujets de la recherche, ou bien d’avoir assisté à des concerts, apposés des affiches pour des réunions publiques, … bref d’être des étudiants comme les autres, de vivre leur jeunesse, d’agir pour un monde meilleur.

Le gouvernement et l’ État ont décidé d’en faire au contraire les otages d’une politique répressive des libertés publiques, civiles et intellectuelles, les exemples d’une entreprise délibérée de terreur exercée sur les esprits libres et les détenteurs du savoir indépendant en Turquie. On ne peut exclure non plus que le pouvoir islamo-conservateur ait décidé, avec Sevil Sevimli, de faire pression sur le nouveau président élu en France après l’épisode du vote de la loi pénalisant le négationnisme. Voire de s’attaquer à une citoyenne turque autant que française et européenne et originaire de surcroît de la minorité alévie, autant de critères suspects voire condamnables pour l’idéologie islamo-nationaliste.

Le Groupe international de travail GIT « Liberté de recherche et d’enseignement en Turquie » et son antenne en France lancent un appel en faveur d’une nouvelle mobilisation pour Sevil Sevimli, les étudiants turcs emprisonnés et leurs enseignants persécutés. Cette initiative exprime les principes et les intentions du GIT dans sa déclaration inaugurale du 21 novembre 2011.

« Ce groupe international de travail réalisera une veille documentaire sur tous les faits relatifs à la situation des chercheurs, universitaires, étudiants, éditeurs, traducteurs persécutés. Il travaillera à la connaissance de l’exercice de la liberté d’expression, de la libre circulation des informations critiques ou non conventionnelles, et de la liberté d’engagement et d’association en Turquie, exercice qui conditionne l’existence de ces libertés plus spécifiques mais néanmoins essentielles de recherche et d’enseignement. Il examinera les processus de construction de la démocratie et les blocages auxquels se heurte la démocratisation en Turquie, historiquement et dans un contexte international renouvelé avec les révolutions du “printemps arabe”. Il se propose aussi de constituer une plate-forme d’information, exposant notamment l’ampleur de l’actuelle répression intellectuelle en Turquie, ou bien le sort personnel des collègues menacés ou emprisonnés, ou encore les questions juridiques, politiques, économiques, sociales relatives au processus de démocratisation. Les faits concernant le monde de la recherche et de l’enseignement en Turquie seront confrontés à la situation générale des libertés intellectuelles et publiques dans ce pays mais aussi à des cas similaires ayant affecté ou affectant d’autres pays et, in fine, aux enjeux scientifiques et universitaires dans le monde. »

Avec l’affaire Sevil Sevimli, le GIT constate l’intensification des menaces exercées contre la liberté de recherche et d’enseignement en Turquie, l’instrumentalisation de la justice à des fins de terreur politique et de répression sociale, la répression des droits civiques et des principes démocratiques. Le GIT s’emploie à documenter cette réalité, à en révéler la gravité et à mobiliser les chercheurs du monde entier en faveur des universitaires, étudiants, éditeurs, traducteurs persécutés en Turquie. Il constate combien le cas de l’étudiante franco-turque mobilise les communautés scientifiques et académiques, à commencer par celle de son Université de Lyon II représentée par le président Jean-Luc Mayaud dont l’action est à saluer.

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Agée de 19 ans, en séjour Erasmus à l’université Anadolu d’Eskisehir, Sevil Sevimli a été arrêtée dans cette ville le 10 mai 2012 à l’aube, au cours d’une rafle visant l’organisation de gauche radicale DHKP-C. Sous le coup d’une accusation de « collusion avec une organisation terroriste », elle a été aussitôt incarcérée à l’issue de sa garde à vue. Comme l’a montré l’historien Etienne Copeaux sur son site Susam Sokak, les premières dépêches d’agence ont relayé la position officielle des autorités faisant état de « soupçons de liens avec un mouvement clandestin d’extrême-gauche qui figure sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne [...] à l’origine de nombreux attentats contre l’ État turc qui ont fait des dizaines de morts depuis 1976 » (cf. lefigaro.fr et leprogres.fr, 8 juin 2012). Cette présentation d’une étudiante complice d’organisation terroriste a néanmoins été rapidement infirmée dans la presse française et internationale.

Un élément décisif a été la rapide mise au point du président de l’Université de Lyon II, l’historien Jean-Luc Mayaud. Le 14 juin, il recevait la famille de Sevil Sevimli et des représentants de son comité de soutien, et il s’exprima publiquement au sujet de l’étudiante de son université : « Sevil Sevimli, étudiante en troisième année de licence information - communication, admise à bénéficier d’une mobilité dans le cadre du dispositif européen Erasmus avec l’Université partenaire Anadolu à Eskisehir (Turquie), est incarcérée depuis le 10 mai 2012 en ce pays, sous un chef d’inculpation gravissime (il est question de “terrorisme”) que rien, absolument rien, ne vient étayer. Jusqu’à preuve du contraire, une participation à un concert public et autorisé, le rassemblement de coupures de journaux et la possession d’ouvrages (en lien avec sa formation universitaire) ne peuvent justifier d’une incarcération. Nous apportons un soutien sans réserve à la famille et aux proches de Sevil, étudiante exemplaire, que notre Université s’honore de former[...]. »

Sevil Sevimli, ses défenseurs et l’opinion publique demeuraient dans l’ignorance des faits ayant motivé cette arrestation dans un cadre antiterroriste. La loi anti-terreur interdit en effet la divulgation des charges des inculpés et permet la poursuite de tous ceux – y compris avocats – qui enfreindraient cette censure. L’avocat de Sevil Sevimli, Engin Gökoglun déclara cependant à leur sujet : « Les faits qui lui sont reprochés ne tombent pas sous le coup de la loi. [...] D’après les critères de la Cour européenne des droits de l’Homme, le maintien du secret sur ce dossier durant l’enquête, ainsi que la manière dont on a procédé aux interrogatoires en cours de détention sont contraires aux droits de l’Homme. Nous avons examiné toutes les charges alléguées et il est clair que l’ensemble des faits concernés sont du ressort d’activités entièrement légales et démocratiques », insista le défenseur.

On apprit alors que les faits reprochés à Sevil Sevimli relevaient des occupations habituelles d’une étudiante franco-turque découvrant le pays de ses parents et vivant l’existence de toute étudiante de sa génération, de par le monde, intéressée par les affaires publiques et la vie culturelle. Son avocat insista sur la vacuité des charges l’accablant de « terrorisme » :
1. “Assister à la projection du documentaire Damında Sahan Güler Zere” : le ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoğlu avait déclaré à l’époque : “Güler Zere est notre fille”. Elle a été atteinte du cancer alors qu’elle était en prison, où elle n’a pas pu être soignée. Alors qu’elle était mourante, le président de la république l’a amnistiée. Elle est décédée en liberté. Le documentaire ne comporte absolument rien qui soit condamnable au regard de la loi.
2. “Placarder une affiche réclamant la gratuité de l’enseignement”. Si cet acte peut être blâmable, il n’est pas en soi délictueux. Tant que l’affiche en question ne contient rien de répréhensible, on ne peut admettre que cet acte le soit.
3. “Assister à un concert du groupe Yorum” à Istanbul : le 15 avril 2012, ce concert s’est produit devant un public estimé à 350 000 personnes. Ces gens venaient de toutes les catégories de la population, pour répondre à “un appel pour la Turquie indépendante”. On ne peut comprendre que la participation à un événement artistique soit érigée en un fait délictueux et condamnable.
4. “Participer à la fête officielle du Premier-Mai” : Ce jour du Premier-Mai, dans la plupart des pays du monde, est la Fête du travail et des travailleurs. Désormais [en Turquie], ce jour est devenu également une fête officielle et chacun peut y participer librement.
5. “Participer à un pique-nique précédant la fête du Premier-Mai” : il n’y a pas de preuve que des délits aient été commis au cours de ce pique-nique organisé par les étudiants.

Une forte mobilisation s’en est suivie en France, au sein des universités lyonnaises particulièrement, et au niveau national tant sur des sites spécialisés (Turquie européenne, Susam Sokak) que par Le Monde qui a consacré sa une et son éditorial à cette affaire (« Quel crime a commis Sevil Sevimli, M. Erdogan ? ») ainsi que plusieurs reportages de son correspondant en Turquie. Un comité de soutien a été créé (« Libérez Sevil Sevimli ! »), et une pétition efficacement relayée par Turquie Européenne a réuni près de 135 000 signataires (fin octobre 2012). Les autorités françaises ont été interpellées.

Cette mobilisation a contribué à briser l’isolement autour de Sevil Sevimli et à placer les autorités turques sous une forte pression. Le 7 août 2012, l’étudiante a été libérée conditionnellement et soumise à un strict contrôle judiciaire avec interdiction de quitter la ville d’Eskisehir. Trois jours plus tard s’ouvrait devant la 6e Cour pénale de Bursa la première audience de son procès. Les juges adoptèrent l’acte d’accusation préparé par le procureur à l’encontre de Sevil Sevimli et ses co-accusées, requérant contre elle et eux 32 ans et demi d’emprisonnement pour « participation à la direction d’un mouvement [illégal] ». Le tribunal de Bursa valida l’acte des accusations dressé contre l’étudiante (participation à une cérémonie commémorative sur la sépulture d’Ali Yıldız au cimetière de Gazi ; diffusion de la revue Yürüyüs ; vente de billets pour le concert du Groupe Yorum ; rencontre avec des dirigeants du syndicat Egitim-Sen d’Eskisehir pour organiser la projection du documentaire Damında Sahan Güler Zere ; apposition d’affiches revendiquant la gratuité de l’enseignement ; apposition d’une affiche appelant au rassemblement sur la place de Taksim le 1er mai, dans l’enceinte du restaurant universitaire d’Eskisehir).

Une nouvelle audience de son procès s’est tenue le 26 septembre. L’avant-veille, le président de Lyon II a diffusé un nouveau communiqué en défense de l’étudiante (voir plus bas). A l’issue de l’audience, le contrôle judiciaire a été assoupli, mais Sevil Sevimli, qui a interdiction de revenir en France, reste toujours passible de 32 ans d’emprisonnement. Le jugement définitif doit être rendu le 19 novembre prochain, à moins d’un nouvel ajournement de son procès.

Le GIT France est pleinement mobilisé sur le cas emblématique de Sevil Sevimli, innocente du crime qu’on lui impute. L’issue de ce procès sera un test pour la démocratie en Turquie et la situation de la liberté de recherche et d’enseignement dans ce pays.

Appel du GIT, 1er novembre 2012.

Annexe. Soutien à Sevil Sevimli - Communiqué de presse de la Présidence de l’Université de Lyon II, le 24 septembre 2012

« En décembre 2010, Sevil Sevimli, étudiante en Licence information - communication à l’Université Lumière Lyon 2, a déposé une demande d’inscription auprès du département de journalisme de l’Université Anadolu (Turquie). En candidatant, elle souhaitait effectuer sa troisième année de Licence dans le cadre du dispositif d’échange européen Erasmus, de septembre 2011 à juin 2012.

Suspectée de crimes gravissimes, Sevil Sevimli a été incarcérée en Turquie le 10 mai, avant d’être libérée le 6 août dernier et placée sous contrôle judiciaire dans l’attente de l’ouverture de son procès annoncé pour le 26 septembre.

En tant que Président de l’Université, à la veille de l’ouverture de son procès, je tiens à témoigner de l’exemplarité du parcours d’études poursuivi par Sevil Sevimli.

Sevil Sevimli s’est investie dans une formation en lien avec son projet professionnel : devenir journaliste. Pour parfaire sa formation, elle a fait le choix de suivre une année d’étude à l’Université Anadolu espérant pouvoir un jour s’installer et travailler en Turquie, pays pour lequel elle a exprimé une sensibilité toute particulière du fait de ses attaches familiales.

Elle a ainsi intégré l’Université Anadolu, partenaire de l’Université Lyon 2 depuis septembre 2008, vivement intéressée par le programme d’études en langue turque proposé par cette université, qui s’inscrivait dans la continuité des enseignements qu’elle a suivis et validés dans mon établissement.

L’Université Anadolu a pleinement accepté sa candidature, au regard de ses motivations en termes de formation et de ses aspirations professionnelles.

Sevil Sevimli montre un investissement régulier dans ses études en validant sans retard les différents semestres composant son cursus, y compris dans le cadre de son année d’échange en Turquie, puisqu’elle a mené cette formation jusqu’à son terme en réussissant ses examens alors qu’elle était incarcérée.

Malgré l’incertitude qui prévaut quant à l’issue du procès et sa libération, Sevil Sevimli a réaffirmé sa volonté de mener jusqu’à son terme son projet de formation en s’inscrivant en 1re année de Master information et communication, en cette rentrée 2012, dans mon établissement.

Dans le cadre du programme d’études proposé par le département de journalisme de l’Université Anadolu, Sevil Sevimli a été amenée à faire des recherches sur les droits de l’homme, les droits de l’enfant, et la vie politique contemporaine en Turquie, thèmes correspondants aux enseignements offerts par l’Université Anadolu.

La formation universitaire passe par la consultation de différentes sources d’information, afin de développer un esprit d’analyse et un esprit critique, et ce, à plus forte raison, dans le cadre d’un cursus journalistique. Il est donc légitime qu’une étudiante se destinant au journalisme cherche à nourrir son travail en confrontant des idées, des opinions qui traversent la société.

Pour une apprentie journaliste, il n’y a donc rien de répréhensible à consulter ouvrages, tracts et journaux les plus divers et à observer toute réunion ou manifestation en y participant. C’est pourquoi, je ne comprends pas que l’on puisse assimiler ce type de démarche à des actes répréhensibles, qualifiés de criminels.

Je suis aujourd’hui choqué qu’une telle accusation soit portée à l’encontre de Sevil Sevimli, comme elle pourrait l’être à l’égard de tout étudiant.

Au travers de cette lettre, je souhaite témoigner de la constance de Sevil Sevimli dans le suivi de ses études et apporter un éclairage sur la manière dont elle a conçu et mené son parcours universitaire en France et en Turquie, dans la perspective de concrétiser son projet professionnel.

Enfin, ici, j’entends réaffirmer le soutien que j’ai exprimé à Sevil Sevimli et à sa famille. Je suis prêt à le renouveler, par écrit ou en personne, si elles l’estiment possible et nécessaire, devant les autorités judiciaires turques. »

Pascal Cornet/Directeur de cabinet auprès de la Présidence

(Cité in http://www.susam-sokak.fr/article-s...)

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Sources

Sevil Sevimli. Appel du GIT France pour les étudiants emprisonnes en Turquie
Groupe International de Travail sur la Turquie - Jeudi 1er novembre 2012

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