Guillaume Perrier
Le premier ministre turc, M. Erdogan, effectue une visite à Athènes. Au centre des débats, les questions de défense
La visite de Recep Tayyip Erdogan à Athènes, vendredi 14 et samedi 15 mai, très attendue de part et d’autre de la mer Egée, devrait inaugurer ” une nouvelle ère ” dans les relations gréco-turques, annonçait, la veille, la presse d’Istanbul. Le chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoglu, parle même de ” révolution “.
Le premier ministre turc se rend chez son voisin grec en pleine tourmente financière. Il est accompagné de dix de ses ministres, d’une centaine d’hommes d’affaires et de membres de la société civile. ” Nous voulons montrer notre solidarité envers la Grèce, a déclaré M. Erdogan dans un entretien à la télévision publique grecque NET, jeudi soir. Avec de la patience, je pense que la Grèce peut surmonter cette crise. Nous devons nous entraider “, car ” nos deux économies sont complémentaires “, a-t-il ajouté.
” C’est le début d’un nouvel effort sérieux et d’une coopération plus étroite avec la Turquie “, a prédit, mercredi, Dimitris Droutsas, vice-ministre grec des affaires étrangères. Côté turc, on ne se réjouit pas des déboires économiques de son voisin. Les deux pays, ennemis historiques, ont l’occasion d’accélérer leur rapprochement, aidés par la crise. Ils doivent inaugurer un conseil stratégique bilatéral ” inspiré du conseil franco-allemand “, estime l’universitaire Umut Özkirimli, spécialiste des relations gréco-turques. La course à l’armement à laquelle se livrent Ankara et Athènes depuis des années et le litige territorial concernant les îles grecques de la mer Egée seront au centre des discussions.
” La mer Egée est l’une des zones les plus militarisées au monde “, constate Harry Dzimitras, qui codirige l’institut d’études gréco-turques à l’université Bilgi d’Istanbul. La Grèce, qui s’est engagée à réduire drastiquement son déficit budgétaire – 13,6 % en 2009 -, a dû rapidement se pencher sur ses dépenses militaires. Cette année, elles avoisineront les 6 milliards d’euros, soit 2,8 % du PIB, ce qui range la Grèce à la première place dans l’Union européenne.
Un rapport de l’institut suédois Sipri indique que la Grèce et la Turquie figurent parmi les plus gros importateurs d’armes au monde. Une situation à laquelle les deux gouvernements envisagent de remédier. Le problème a été soulevé par le ministre turc chargé des affaires européennes, Egemen Bagis, pour qui la course à l’armement est ” l’une des raisons de la crise économique grecque. La Grèce n’a pas besoin de nouveaux tanks, de missiles ou d’avions de chasse. Pas plus que la Turquie. Il est temps de réduire les dépenses budgétaires dans les deux pays. Ni la Grèce ni la Turquie n’ont besoin de sous-marins allemands ou français “, a-t-il insisté en mars à Bruxelles.
Ces ventes d’armes ont atteint des sommets depuis 1996, après l’incident autour de l’îlot inhabité d’Imia, à la limite des eaux territoriales grecques et turques. Un cargo turc s’était échoué sur ce rocher, soudainement devenu un enjeu territorial. Istanbul avait contesté la souveraineté sur certaines îles situées, selon elle, dans une ” zone grise “, près des côtes turques. Et les deux pays avaient envoyé leurs navires de guerre à proximité d’Imia, sans que la crise dégénère.
Depuis, le différend resurgit régulièrement, les flottes grecques et turques se font face de part et d’autre du caillou. Les chasseurs de l’armée turque survolent trois fois par jour certaines îles frontalières, venant défier les avions ” ennemis “, et l’état-major publie des communiqués menaçants.
En 2006, un pilote grec a péri dans une collision entre deux avions. Pourtant, le coût humain et financier de telles opérations ne peut plus vraiment se justifier. ” C’est un litige anachronique “, estime M. Dzimitras.
Le premier ministre grec, Georges Papandréou, avait effectué à Istanbul sa première visite après son élection, pour soutenir le rapprochement. C’était déjà lui qui, en 1999, alors ministre des affaires étrangères, avait lancé la réconciliation en proposant l’aide grecque à la Turquie, après le séisme d’Izmit qui fit 20 000 morts.
La crise économique offre à Ankara la possibilité de répondre à ce geste. Mais le contentieux historique reste sensible en Grèce, qui fut dominée pendant quatre siècles par l’Empire ottoman et où la défaite militaire de 1922 contre les troupes turques est toujours synonyme de ” catastrophe “, rappelle M. Özkirimli.
Le problème de Chypre, dont la partie nord a été envahie par l’armée turque en 1974, et les litiges territoriaux autour des îles de la mer Egée entretiennent les rancœurs entre les deux voisins. Selon une étude de l’institut d’études gréco-turques de l’université Bilgi d’Istanbul, la Turquie est considérée comme ” la principale menace pour la Grèce ” par 77 % des sondés en Grèce.
En revanche, moins de 10 % des Turcs perçoivent la Grèce comme un danger. Ankara considère aujourd’hui le front kurde comme sa principale menace stratégique et y concentre donc son effort militaire. Une armée affectée à la mer Egée a récemment été déplacée vers le sud-est du pays.