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Les Européens dénoncent la loi sur l’adultère voulue par Ankara

Istanbul : Marie-Michèle Martinet

lundi 20 septembre 2004, par Marie-Michèle Martinet

Le Figaro - 10/09/2004

Le commissaire européen chargé de l’élargissement, Günter Verheugen, a dressé hier, au terme d’une visite en Turquie, un bilan en demi-teinte des avancées de ce pays sur la voie de l’adhésion à l’UE, constatant des « progrès impressionnants » mais aussi des « carences ». Le commissaire européen s’est d’autre part opposé au projet de criminalisation de l’adultère, qui figure notamment au menu des réformes envisagées par le gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP), issu de la mouvance islamiste. « J’ai du mal à comprendre comment une telle disposition est évoquée en une telle période (...) Cela ne peut relever que d’une plaisanterie », a-t-il dit à la chaîne privée NTV.

Personne ne pourrait douter de l’engagement de Günter Verheugen en faveur de la candidature turque à l’Union européenne. Pour dire sa surprise et sa réserve quant à l’opportunité du projet de loi sur l’adultère élaboré par le gouvernement d’Ankara, il a préféré manier l’ironie plutôt que de hausser le ton : « Cela ne peut relever que d’une plaisanterie », a-t-il confié dans un entretien accordé à la chaîne de télévision NTV. Le commissaire européen a cependant lancé une mise en garde très claire, affirmant qu’une telle loi, si elle était votée, serait un véritable faux pas : « Ce serait une erreur. Les pays européens ne comprendraient pas. »

Une grande majorité des intellectuels turcs ont également du mal à comprendre ; ou plutôt, ils craignent d’avoir trop bien compris ce qu’ils considèrent comme une choquante régression, une tentative de retour à la charia, la loi islamique, abolie en 1924 au moment de la fondation de la république laïque turque par Mustapha Kemal Atatürk.

En 1996, le précédent texte régissant l’adultère avait été abrogé par la Cour constitutionnelle, qui l’avait jugé discriminatoire. Ce nouveau projet, s’il est ratifié, donnera à chaque citoyen le droit de porter plainte contre le conjoint adultère, qui pourrait encourir une peine de plusieurs années de prison.

Les relations sexuelles avant le mariage, assimilées à des actes de prostitution, tomberaient également sous le coup de cette loi dont on peut légitimement s’interroger sur les conditions d’application dans un pays où, aujourd’hui encore, une femme violée risque d’être immolée par ses frères ou son propre père au nom du code de l’honneur, tandis que son agresseur peut bénéficier de la mansuétude des juges s’il propose d’épouser sa victime.

« Nous voulons préserver les valeurs familiales », a expliqué le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, pour tenter de convaincre du bien-fondé de ce texte : « Si la famille se désintègre, le pays est voué à la destruction. »

Arguments sans fondements, répondent les opposants au projet, à l’image de Fatih Altayli qui, dans les colonnes du journal Hürriyet, pose cette question pleine de bon sens : « Qui protégera la famille quand le père sera en prison ? »

Dans un pays qui, selon le rapport 2004 de l’Unicef, compte 7 millions d’adultes analphabètes, dont 6 millions de femmes, on peut douter de la capacité de celles-ci à faire respecter leurs droits, face à des maris qui les trompent et parfois même contournent la loi interdisant la polygamie en prenant une deuxième femme avec la bénédiction des mollahs.

Pour justifier encore son projet de réforme, le premier ministre turc s’appuie sur les sondages, qui le créditeraient de 80% d’opinion favorable. Mais, comme le remarque le quotidien Radikal, « l’adultère n’est pas une question d’interdiction mais d’éducation ». Et ce sont bien sûr les classes sociales les plus éduquées qui se montrent les plus hostiles, tandis que l’Anatolie profonde se cramponne à ses traditions.

Le Parlement, où le parti islamiste dispose de près des deux tiers des sièges, examinera ce projet de loi très controversé le 14 septembre, lors d’une session extraordinaire consacrée à l’examen du nouveau code pénal. A l’ordre du jour, des dossiers fondamentaux comme l’abolition de la torture et les droits de l’individu figurent parmi les réformes insufflées par Bruxelles dans la perspective d’éventuelles négociations d’adhésion à l’Union.

Un autre projet de loi est également au programme : celui des imam hatip, ces écoles coraniques qui, grâce à l’appui du gouvernement en place, essaient de se frayer un chemin d’accès aux universités.

Au printemps dernier, le président de la République, Ahmet Necdet Sezer, défenseur de la laïcité, avait bloqué la procédure en faisant jouer son droit de veto. Le texte revient maintenant en deuxième lecture...

A la lumière de ces affrontements récurrents, on comprend mal l’attitude du gouvernement turc qui prend des risques considérables, dans cette période délicate précédant la publication du rapport que doit rendre la Commission européenne, le mois prochain, sur l’ampleur des réformes entreprises par Ankara.

Comme si le premier ministre turc prenait un malin plaisir à jouer avec le feu, en fournissant des arguments de poids aux adversaires de la candidature turque.

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