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L’UE indulgente pour la Turquie dans son rapport annuel d’évaluation

mercredi 12 novembre 2008, par Jean Marcou

L’UE rendra son rapport annuel d’évaluation de la candidature turque, le 5 novembre prochain. Ce rapport intervient 4 ans après que la Turquie ait obtenu l’ouverture de négociations d’adhésion et 3 ans après que celles-ci aient effectivement commencé.

Pourtant, alors même qu’un certain nombre d’éléments du rapport ont déjà été communiqués par Bruxelles au gouvernement turc et que de nombreux experts ont eu accès à sa première mouture, les conversations et commentaires vont bon train sur son contenu. Comme l’année dernière, ce rapport semble étonnamment modéré. Or, le gouvernement, depuis qu’il a obtenu l’ouverture de négociations d’adhésion, a quasiment abandonné le processus de réformes, initié par l’importante révision constitutionnelle de 2001 et confirmé par les paquets d’harmonisation législative qui ont suivi. Il est vrai qu’entre 2005 et 2007, la Turquie a traversé une période électorale délicate… L’an passé, en dépit de la faiblesse observée des réformes, le rapport de l’UE pouvait se réjouir du fait que la crise provoquée par les élections présidentielles avait pu être arbitrée grâce à la tenue satisfaisante de législatives anticipées. Cette année, alors que le bilan en matière de réformes est tout aussi maigre, il est beaucoup plus difficile de justifier l’attentisme gouvernemental. Et ce, d’autant plus que la période post-électorale de la fin de l’année 2007 avait vu le gouvernement promettre à plusieurs reprises une relance significative des réformes, et surtout annoncer l’élaboration d’une « Constitution civile » sensée en finir définitivement avec les derniers vestiges du régime hérité du coup d’Etat de 1980.

Certes, le gouvernement a dû faire face à une opposition résolue de l’establishment, notamment de la Cour constitutionnelle. Toutefois, force est de constater que loin de chercher à dominer ce genre d’obstacle par un engagement résolu en faveur des valeurs européennes, le parti au pouvoir, dont les position et légitimité politiques ont été renforcées par les dernières élections, a tergiversé et fini par brouiller les pistes. En effet, l’élaboration du projet de « Constitution civile » n’a jamais fait l’objet d’un échéancier précis et convaincant. Son annonce tapageuse à l’automne 2007 n’a pas empêché la poursuite de la révision de la Constitution de 1982, pour des raisons plus tactiques que véritablement démocratiques (révision du mode d’élection du président de la République et du mandat de la Grande Assemblée Nationale par le référendum du 21 octobre 2007, révision tentée des articles 10 et 42 pour permettre la levée de l’interdiction du voile à l’Université.) Dans le même temps, les nuages se sont accumulés : réforme décevante de l’article 301 du Code pénal, répression sans ménagement des manifestations du 1er mai, difficulté à enrayer la pratique policière de la torture en dépit d’une promesse réitérée de « tolérance zéro » en la matière, atteintes répétées à la liberté d’usage d’Internet (interdiction de « YouTube », suspension de « Blogspot »…), menace d’interdiction du DTP…

La mansuétude de l’UE dans son prochain rapport s’explique sans doute par la volonté de celle-ci de maintenir la Turquie sur les rails de l’adhésion, alors même que le gouvernement ne lui paraît pas avoir tous les torts. Les responsables de l’UE pensent que dans un contexte politique difficile et aggravé par la crise kurde qui sévit depuis un an, leur premier rôle est d’inciter les acteurs politiques turcs au consensus. Cet encouragement au dialogue et à la pacification des relations politiques avait été, on s’en souvient, l’un des axes forts de la visite, en Turquie, de José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, au printemps 2008 (cf. notre édition du 12 avril 2008). Mais cette temporisation apparaît aussi à certains commentateurs comme suspecte, car visant à ménager moins la Turquie que l’AKP au pouvoir.

À cet égard, si les milieux laïques et nationalistes auront beau jeu de dénoncer une fois de plus le complot de l’UE à l’encontre de la République laïque, les milieux libéraux s’étonnent déjà que le rapport ne pointe pas du doigt avec plus de fermeté le développement de la corruption mise en lumière récemment par l’affaire « Deniz Feneri », les atteintes réitérées à la liberté d’ expression (suspension de sites internet ou de chaînes de télévision) ou les coups portés à la laïcité par certaines mesures (restriction à la vente de l’alcool, atteintes aux droits des femmes…).

Pour Burak Bekdıl, un commentateur du quotidien anglophone turc, le « Turkish Daily News-TDN » (qui deviendra, le 3 novembre prochain, le « Hürriyet Daily News » et qui appartient au groupe « Doğan »), le titre arboré par le rapport européen, à savoir « rapport sur la progression de la candidature turque » est devenu un doux euphémisme bruxellois, car en un an quasiment rien n’a réellement changé. Le commentateur regrette ainsi que ce rapport ressemble au bulletin semestriel d’un mauvais élève auquel l’on s’emploie pourtant à trouver des circonstances atténuantes parce que ses parents ont l’habitude de faire de généreuses donations à l’école. Il est vrai qu’une fois de plus, poursuit le commentateur du TDN, le rapport rappelle que l’élève turc a malheureusement deux oncles (l’un juge et l’autre militaire) qui ont une très mauvaise influence sur son éducation. Mais si cette appréciation pondérée permet à l’administration scolaire d’excuser le candidat turc, elle ne l’amène pas pour autant à lui délivrer son diplôme et lui permet essentiellement de justifier un maintien sur les bancs de l’école qui risque d’être encore long .
JM

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Sources

Source : Ovipot le 2 novembre 2008

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