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France-Turquie : la guerre froide

mardi 29 mars 2011, par Dominique de Montvalon

L’intervention en Libye, qui pourrait durer longtemps, provoque une énorme tension entre la France et la Turquie. Et une mise en garde adressée à Paris par Berlin.

« Paris commence à être hors circuit » : vendredi, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, visant Nicolas Sarkozy, n’y est pas allé de mainmorte. Pour que les choses soient bien claires, il a ajouté qu’il trouvait « très positif » que, s’agissant de la Libye, la France soit, selon une expression qui n’engage que lui, en passe d’être mise « hors circuit ».

La colère du chef du gouvernement turc a des motifs internes et externes. Il va y avoir en juin des élections législatives en Turquie, et Erdogan, aux prises avec un parti islamo-conservateur qui multiplie les déclarations nationalistes et anti-occidentales, n’entend pas, chez lui, se laisser déborder. Alors, taper sur Sarkozy !…

Ce n’est pas tout : le Premier ministre turc a, contre la France, de sérieux motifs d’agacement. D’abord, à Paris, on ne veut pas – c’est confirmé – d’une entrée en bonne et due forme de la Turquie dans l’Union européenne. Ensuite, Erdogan – déjà ulcéré de n’avoir pas été invité le 19 mars à Paris au sommet de Paris sur la Libye – est en désaccord sur deux points cruciaux avec la « ligne Sarkozy » : il ne comprend pas pourquoi la France tergiverse et chipote sur la décision prise (et entérinée) de confier à l’Otan le contrôle de la zone d’exclusion aérienne sur la Libye. Il l’admet d’autant moins qu’il ne veut pas, par ailleurs, de « frappes au sol ». Or Sarkozy – et il n’est pas seul – y tient absolument. Dans sa colère, Erdogan, exploitant outrancièrement un mot maladroit (comme dit Alain Alain Juppé) du ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, reproche à la France de rêver en Libye d’une « croisade ».

Inquiétude allemande

A Paris, on déplore cette dégradation confirmée des relations franco-turques, mais on choisit de ne pas dramatiser : le dossier libyen – capital et à l’issue imprévisible – est déjà assez compliqué en soi. L’important pour Paris – on parle même d’une « grande victoire » – c’est que le Quatar et les Emirats arabes unis aient décidé de s’engager, et participent aux frappes que conteste la Turquie. Pour le reste, il y aurait un compromis satisfaisant pour Washington comme pour Paris : le contrôle de la zone d’exclusion aérienne par l’Otan et un « pilotage politique » de l’intervention en Libye qui reste – ou resterait – hors-Otan. Le fait est que, sur le terrain, les frappes se multiplient. Il est question de « désertions » dans les troupes de Kadhafi. Mais, à Paris, on admet qu’il ne faut pas « se leurrer » : « Si ses moyens militaires sont atteints, Kadhafi est encore déterminé. » Bref, a priori, le conflit n’est pas prêt de s’achever : il y en a encore, laisse-t-on entendre, « pour des semaines ».

Ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle a été hier très sec avec le chef de l’Etat français, lui reprochant d’avoir laissé entendre à Bruxelles que la « communauté internationale » pourrait, comme en Libye, intervenir chaque fois que des manifestants seraient pris à partie ou en danger, en Syrie ou ailleurs : « Ce n’est pas une solution de memacer maintenant chaque dirigeant arabe d’une intervention militaire. J’y vois là une discussion très dangereuse avec de graves conséquences. » Un avertissement sans frais, mais sérieux.

Confusion et menaces

Le conflit menace-t-il l’ensemble de la région ? C’est désormais la crainte de la coalition et des pays du Sahel. Ainsi, hier, le président tchadien, Idriss Déby, s’alarmait : « Les islamistes d’al-Qaida ont profité du pillage des arsenaux en zone rebelle pour s’approvisionner en armes, y compris en missiles sol-air. » Sur le terrain, les opérations aériennes occidentales ont pris de l’ampleur. Des chasseurs-bombardiers de la coalition ont notamment mené des raids à Adjedabia, où sont retranchés des soldats pro-Kadhafi. La chute de ce bourg stratégique à 160 km au sud de Benghazi serait imminente. Mais Mouammar Kadhafi ne désarme pas. Il a décidé de promouvoir au grade supérieur tous les militaires pour leur « lutte héroïque » contre la coalition internationale et aurait fourni des armes à des « volontaires » civils pour aller combattre les rebelles. A compter de dimanche, c’est le général canadien Charles Bouchard sera à la tête des opérations de l’Alliance atlantique en Libye.

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Sources

Source : France Soir, le 26/03/2011

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