Le gouvernement table sur 4% de croissance au lieu des 5,5% annoncés il y a six mois, soit 3 points de moins que la moyenne des cinq dernières années.
La principale fédération de patrons turcs a attaqué de plein front la semaine dernière la classe politique turque. « De nombreux hommes politiques de notre pays vivent une éclipse de la raison, jamais connue jusqu’à présent », a lancé jeudi Mustafa Koç, président du haut conseil consultatif de la Tusiad. « Notre énergie est dépensée en vain, notre pays perd du temps dans des combats et des polémiques stériles. »
Ce coup de gueule de la principale organisation patronale turque intervient en pleine crise politique. Le parti au pouvoir, l’AKP, poursuivi pour activités anti-laïques, risque la dissolution. L’issue de ce procès, lancé en mars, pourrait être connue cet été et, en attendant, les indicateurs économiques plongent. Le gouvernement table sur 4% de croissance au lieu des 5,5% annoncés il y a six mois, soit 3 points de moins que la moyenne des cinq dernières années. Autre mauvaise nouvelle, l’inflation est repassée au-dessus de la barre de 10% (10,4% en mai en rythme annuel), et le déficit des comptes courants devrait atteindre un record à la fin de l’année (50 milliards de dollars).
Certes, ces difficultés sont en partie liées au ralentissement économique mondial. « L’économie turque est fragilisée comme toutes les autres économies », constate Ahmet Insel, professeur d’économie à l’Université Galatasaray d’Istanbul. « Mais à cela s’ajoute un facteur de risque politique. Dans ce contexte, quel gouvernement peut avoir les coudées franches pour continuer à réformer l’économie et ne pas faire de populisme ? »
Abandon de la discipline budgétaire
Populisme, c’est aussi le mot employé par la Tusiad pour qualifier de récentes mesures gouvernementales comme le transfert de budget de l’Etat aux collectivités locales ou une amnistie des dettes de certaines entreprises envers la sécurité sociale. « Il existe un risque d’abandon de la discipline budgétaire », s’inquiète Arzuhan Yalcindag, présidente de la Tusiad. « Or n’oublions pas que la discipline budgétaire a été la base de la performance économique de la Turquie, ces dernières années. » Ce relâchement, associé à l’abandon de réformes structurelles économiques et à la baisse de motivation gouvernementale pour le processus européen, est d’autant plus critiqué qu’il intervient à moins d’un an d’élections municipales et dans un contexte extrêmement sombre pour le parti au pouvoir, avec la perspective d’une dissolution et d’élections générales anticipées.
Les marchés financiers turcs ont été chahutés par cette crise politique. L’IMKB, l’indice de la bourse d’Istanbul, a perdu près de 30% de sa valeur depuis le début de l’année. Et du côté des consommateurs, même morosité : l’index de confiance a encore chuté en mai. Dans un rapport publié début juin, l’OCDE qualifie, quant à elle, le procès contre l’AKP de « risque majeur » pour l’économie du pays. Les investisseurs étrangers, habitués à la politique de promotion des IDE par le gouvernement depuis son arrivée en 2002, sont parmi les plus inquiets quant à une possible dissolution du parti au pouvoir. Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan met d’ailleurs sur le dos de l’actuelle crise politique une partie de la baisse de ces investissements. De 22 milliards de dollars en 2007, ils pourraient difficilement atteindre 13 milliards en 2008.