Logo de Turquie Européenne
Accueil > Articles > Articles 2011 > 03 - Troisième trimestre 2011 > Après son succès aux législatives, le BDP à la croisée des chemins

Après son succès aux législatives, le BDP à la croisée des chemins

mardi 23 août 2011, par Elif Karaman

JPEG - 21.1 ko
Logo du BDP

Le BDP (le Parti pour la Démocratie et la Paix) pro-kurde fait partie des grands gagnants du scrutin du 12 juin dernier. En effet, avec 35 députés, il est parvenu à multiplier pratiquement par deux le nombre de ses sièges au Parlement. Alors que ce dernier se donne pour mission une révision constitutionnelle dont l’un des objectifs est de régler la question kurde, ce score pourrait permettre au BDP d’exercer une influence et de tenter de faire passer des réformes importantes comme le droit d’enseigner la langue kurde. Pourtant, au moment même où il s’affirme comme force politique montante, il a refusé de prêter serment et a boycotté le Parlement (voir notre édition du 29 juillet 2011).

Pourquoi cette situation ? La tension entre le BDP et le gouvernement s’est amplifiée autour des élections du 12 juin. En effet, un mois avant le scrutin, la candidature de sept candidats indépendants soutenus par le BDP (ainsi que de cinq autres candidats indépendants à travers la Turquie) avait été annulée par le Haut Conseil des élections (YSK) en raison de leur casier judiciaire (voir notre édition du 21 avril 2011). Selahattin Demirtaş, député du BDP depuis 2007, avait déclaré qu’il s’agissait « d’un complot politique » et d’une « nouvelle déclaration de guerre ». Pour Aysel Tuğluk, députée du BDP depuis 2007, ces interdictions ne pouvaient qu’inciter les Kurdes à davantage de révolte. Cette remise en cause préélectorale a également été dénoncée par Hasip Kaplan, député du même parti, qui estimait que les élections législatives perdaient ainsi toute légitimité. Même si six de ces sept candidatures ont été réhabilitées quelques jours plus tard, la méfiance s’est installée. À cela s’est ajouté le traditionnel désavantage des candidatures indépendantes : dans la mesure où un parti n’obtient de représentation parlementaire que s’il rassemble au moins 10% des voix au niveau national – score jamais atteint par un parti pro-kurde -, le BDP, comme ses prédécesseurs, ne concourt pas directement aux élections, mais préfère soutenir des candidats indépendants. Cette stratégie, qui lui permet d’obtenir un nombre non négligeable de sièges, a pour contrepartie le fait que le BDP n’a pas bénéficié de fonds publics pour sa campagne électorale, à la différence des autres partis représentés et en particulier à l’AKP qui a dépensé des sommes considérables lui permettant d’être omniprésent dans les médias.

Mais le conflit s’est surtout amplifié après les élections, notamment en raison du maintien en détention provisoire de cinq des nouveaux élus du BDP soupçonnés de proximité avec le PKK, ainsi qu’à l’invalidation de l’élection de Hatip Dicle, fondateur du BDP, dont une peine d’emprisonnement a été confirmé entre-temps, et dont le siège parlementaire a été attribué à l’AKP. Aux élections a ainsi succédé une recrudescence des violences opposant les forces de l’ordre turques au PKK (voir notre édition du 18 juillet 2011). Le 14 juillet, alors qu’une embuscade du PKK entraînait la mort de treize soldats turcs et de sept rebelles, Aysel Tuğluk, présidente du Congrès pour une Société Démocratique (DTK), plate-forme d’associations et de mouvements kurdes, proclamait lors d’une réunion partisane « l’autonomie démocratique » des Kurdes de Turquie. Selon cette députée du BDP condamnée à plusieurs reprises pour propagande terroriste, cette autonomie ne consiste pas à former un Etat autonome, mais à permettre la reconnaissance des droits d’une minorité et leur auto-administration au sein de leur région. Mais les commentateurs se sont longuement interrogés sur le contenu et la portée d’une telle déclaration.

Le BDP est largement critiqué au sein de la classe politique et par les médias, qui le considèrent comme la branche politique du PKK obéissant aux ordres d’Abdullah Öcalan. Lors de cette même réunion du BDP – qui a eu lieu à Diyarbakır, ville majoritairement kurde, et non comme il se doit à Ankara – Bengi Yıldız, député du BDP, déclarait ainsi que voter pour son parti revenait à soutenir Abdullah Öcalan et par conséquent le PKK, contribuant à l’amalgame entre le PKK et le BDP. Dans la même veine, le BDP a accusé l’armée turque d’être elle-même responsable de la mort de ses soldats. Abdullah Öcalan allait jusqu’à affirmer, le 27 juillet, que « l’AKP veut la guerre ». Dans cette perspective, certains membres du BDP veulent prolonger le boycott parlementaire et établir une alliance avec le KCK (la Confédération démocratique du Kurdistan), organisation civile soutenant le PKK et largement considérée comme sa branche urbaine. D’une manière générale, la principale différence entre le BDP et les autres partis réside dans le refus de ce dernier de considérer le PKK comme une organisation terroriste. Il souhaite ainsi que le PKK soit partie prenante de la résolution de la question kurde.

Cependant, d’autres députés plus modérés au sein du BDP préfèrent trouver une solution pour mettre fin au boycott lors de la rentrée parlementaire et ainsi participer à la réforme constitutionnelle, et faire avancer par ce biais les revendications du parti (droit d’enseigner, de pratiquer librement et publiquement la culture et la langue kurdes, développement économique du sud-est anatolien, et libération des prisonniers politiques). Ce faisant, ils reflètent la stratégie électorale adoptée par le parti pour les législatives de 2012 : ce n’est pas seul que le BDP a soutenu les indépendants, mais au sein d’une plate-forme intitulée « bloc pour le travail, la démocratie et l’égalité » regroupant d’autres partis de gauche. C’est ainsi que de nombreux artistes et intellectuels kurdes et turcs ont adhéré au BDP, au moment où Abdullah Öcalan affirmait que le « BDP ne doit plus être un parti identitaire », mais devrait inclure et représenter les intérêts à la fois des Kurdes et des Turcs. Parmi les députés BDP qui n’ont pas le profil classique nationaliste kurde, on peut citer Altan Tan, écrivain et politicien avec un passé dans le parti islamiste Refah, ou encore Sırrı Süreyya Önder, cinéaste turc alévi de gauche.

On voit donc que le BDP est divisé – sur les relations avec le PKK, sur la stratégie à adopter face au gouvernement et à la question constitutionnelle. Ce n’est peut-être pas un hasard si fin juillet est revenu en Turquie l’écrivain Kemal Burkay, le fondateur du Parti Socialiste du Kurdistan en 1974, après 31 ans d’exil en Suède. Il adopte une approche moins confrontationnelle et critique le rejet de toute proposition émanant du gouvernement, qu’elle soit bonne ou mauvaise, par les « kurdes les plus politisés », à savoir le PKK et le BDP. Le gouvernement d’Ankara est confiant en sa contribution au règlement pacifique du problème kurde.

Télécharger au format PDFTélécharger le texte de l'article au format PDF

Sources

Article original paru le mercredi 10 août 2011 Sur le blog de l’OViPoT sous le titre : « Après son succès aux législatives, le BDP à la croisée des chemins »

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0