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Ahmet Davutoglu : « La Turquie demande le respect des valeurs européennes »

jeudi 3 février 2011, par François d’Alançon

Pour Ahmet Davutoglu, ministre des affaires étrangères de la Turquie, l’adhésion à l’Union européenne reste un objectif stratégique de la politique étrangère turque

- LA CROIX : La Turquie préside le comité des ministres du Conseil de l’Europe qui a adopté une déclaration sur la liberté religieuse après les attentats contre les chrétiens au Moyen-Orient. Qu’entendez-vous faire pour lutter contre l’intolérance et la discrimination ?

Ahmet Davutoglu : Les extrémismes – la violence contre les minorités chrétiennes au Moyen-Orient, l’islamophobie en Europe – se renforcent mutuellement. À Bagdad et au Caire, les minorités chrétiennes ont vécu depuis des siècles et leur histoire témoigne de la tolérance religieuse qui a longtemps prévalu dans cette région. Les sociétés européennes changent et deviennent culturellement moins homogènes. Le Conseil de l’Europe s’occupe principalement de ce qui se passe à l’intérieur de ses États membres mais ces questions ne peuvent être traitées séparément. L’Irak et l’Égypte – le Moyen-Orient en général – font partie du voisinage de l’Europe et nous avons besoin d’une approche globale pour combattre l’incitation à la haine religieuse et à la violence au niveau local, national et européen, ainsi que dans le voisinage de l’Europe.

- Un règlement négocié sur la question du nucléaire iranien est-il encore possible après l’échec de la rencontre d’Istanbul ?

En dépit des difficultés, les deux parties ont déclaré que la porte restait ouverte à la négociation. Cela montre qu’il y a des deux côtés la volonté politique de trouver une solution et de ne pas faire monter la tension. Il faut trouver un mécanisme pour que tous les pays, sans discrimination, puissent bénéficier du droit à l’usage pacifique du nucléaire tout en renonçant à l’arme nucléaire. Des garanties doivent être données dans ce sens. Tout le monde dit que c’est l’objectif mais le problème est que chacun se méfie des intentions de l’autre.

- La Turquie va-t-elle s’impliquer dans la négociation ?

Les négociations continuent entre l’Iran et les puissances réunies au sein du groupe 5 + 1 (États-Unis, Russie, Chine, France et Royaume-Uni, Allemagne). Si les deux parties le souhaitent, nous sommes prêts à apporter notre contribution mais cela ne dépend pas de nous. Même la dernière fois, quand nous sommes parvenus à un accord à Téhéran (1) sur un projet d’échange de combustible nucléaire, ce n’était pas à notre initiative mais à la suite d’une demande du directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Mohamed El Baradei.

- Nicolas Sarkozy s’est prononcé à plusieurs reprises contre l’entrée de la Turquie dans l’UE. Qu’attendez-vous de sa visite à Ankara le 25 février ?

La Turquie et la France entretiennent des liens depuis le XVIe siècle, une des plus anciennes relations diplomatiques dans l’histoire de l’Europe. Nous avons une histoire et un avenir commun en Europe comme sur la scène internationale. Le potentiel de coopération entre les deux pays est très important, qu’il s’agisse des questions bilatérales, européennes ou mondiales. Nous devrions donc nous demander pourquoi cette visite a attendu si longtemps. Nous pouvons avoir des désaccords mais, si c’est le cas, nous devrions avoir plus d’interaction pour en discuter. Nous souhaitons des visites de haut niveau plus régulières entre la Turquie et la France.

-  En dépit des obstacles, la Turquie reste-t-elle engagée dans la poursuite du processus de réformes et la recherche d’un règlement avec Chypre ?

La culture européenne doit beaucoup à la France et la tradition des Lumières. Une des principales valeurs de notre culture européenne commune, c’est le principe « Pacta sunt servanda » (« les conventions doivent être respectées »), c’est-à-dire le respect des engagements. En décembre 2004, le Conseil européen a clairement décidé d’ouvrir les négociations avec la Turquie en vue de son adhésion pleine et entière à l’Union européenne. Nous demandons ni plus, ni moins que le respect de cette valeur européenne. Nous ne demandons pas à la France une faveur mais de soutenir la culture du respect des engagements - « Pacta sunt servanda » –, des règles objectives et des procédures pour tous les pays candidats à l’Union européenne.

En ce qui concerne Chypre, l’Union européenne avait pour règle que tous les États candidats à l’adhésion devaient résoudre au préalable leurs différends territoriaux. Chypre est devenue membre de l’Union européenne sans que cette norme soit appliquée. La question est de savoir si Chypre est un membre de l’Union européenne ou si l’Union européenne est un instrument entre les mains des Chypriotes grecs pour imposer leur solution. Une réunion trilatérale doit avoir lieu la semaine prochaine à Genève avec le secrétaire général de l’ONU et nous espérons qu’une solution sera trouvée. Mais personne ne doit demander à la Turquie d’accepter ce chantage pour entrer dans l’Union européenne.

- La Turquie a-t-elle encore la motivation pour entrer dans l’UE ?

Nous sommes patients. Quelque fois, le temps est le seul remède. L’Union européenne est l’objectif stratégique de notre politique étrangère, un choix historique. Il y a eu beaucoup d’obstacles dans le passé et il y en aura peut-être dans le futur mais nous n’accepterons rien d’autre que l’adhésion pleine et entière.

- Certains qualifient la politique étrangère turque de « néo non alignée ». Qu’en pensez-vous ?

Nous ne sommes pas non alignés. L’Otan est notre alliance et personne ne peut mettre en cause notre loyauté. Nous sommes plus actifs aujourd’hui qu’il y a dix ans dans les opérations de l’Otan, que ce soit en Afghanistan, en Bosnie, au Kosovo ou au large de la Somalie. Quand nous serons membres de l’UE, nous serons en pleine conformité avec sa politique étrangère. Bien sûr, en raison de son unique position géographique, la Turquie poursuit une politique étrangère très active, non comme une alternative, mais en complémentarité avec l’Otan et l’UE.

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Sources

Source : La Croix, le 27-01-2011

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