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Les jeunes Turcs et l’Europe

mardi 2 mai 2006, par Daniel Vernet

Le Monde - Paru dans l’édition du 26/04/2006

Adversaires comme partisans de l’adhésion de la Turquie dans l’Union européenne pensent que cet objectif est soutenu par une majorité de la société turque et en particulier par les jeunes. Ils se trompent. La cause européenne n’est pas aussi populaire sur les deux rives du Bosphore qu’on le croit. Selon certaines enquêtes effectuées dans les universités, 90 % des jeunes Turcs seraient même sceptiques sur l’entrée de leur pays dans le club européen. Cela ne veut pas dire qu’ils ne la souhaitent pas, en théorie. Cela veut dire que, selon eux, cette perspective n’est pas réaliste. Et le scepticisme croît avec le niveau d’éducation.

Le paradoxe est facile à comprendre. Les sondages ont tendance à refléter une réalité immédiate, directement influencée par la situation présente. Or les Turcs qui s’intéressent à l’Europe ne comprennent plus très bien ce qui s’y passe, depuis les non français et néerlandais au traité constitutionnel. L’ouverture officielle des négociations UE-Turquie, en octobre 2005, après des années d’atermoiements, n’a pas contribué à renforcer l’optimisme. Bien au contraire. Les Turcs ont le sentiment que beaucoup parmi les Vingt-Cinq ont accepté à contrecœur le lancement des négociations et que les mêmes font tout pour qu’elles capotent ou en tout cas traînent en longueur. Leur méfiance s’est accrue d’autant plus que les plus fermes soutiens sur lesquels ils comptaient semblent leur faire défaut. Ils en veulent à la France d’avoir d’abord été en pointe, avec Jacques Chirac, puis d’avoir multiplié les gestes jugés pour le moins inamicaux, jusqu’à inscrire dans la Constitution française un référendum qui les vise sans les nommer. Les jeunes se plaignent en outre de la difficulté d’obtenir des visas, et cette difficulté pèse notamment sur les étudiants, surtout si, dans le même temps, les responsables européens vantent la « génération Erasmus » (Erasmus est le nom du programme européen de bourses et d’échanges universitaires).

Lors de la rencontre traditionnelle entre journalistes turcs et « européens », organisée par la représentation de la Commission de Bruxelles à Ankara, il y a quelques semaines, il est apparu clairement que les torts étaient partagés. La dépression actuelle dans les relations UE-Turquie n’est pas le fait des seuls représentants communautaires. La politique locale joue aussi un rôle. Un participant turc n’a pas hésité à mettre en cause le peu d’enthousiasme manifesté par la délégation d’Ankara chargée des négociations. « On l’a composée de telle sorte qu’il ne se passe rien », a-t-il dit. La négociation, quelle négociation ? s’est demandé un autre, en soulignant que le rapport était inégal. Il ne s’agit pas d’un donnant-donnant, il s’agit pour la Turquie de s’adapter aux exigences communautaires. Le jeu en vaut-il la peine alors que la Turquie bénéficie déjà de sa proximité avec l’UE sans en être membre ? Ses relations avec la Grèce se sont normalisées ; son économie profite des avantages de l’union douanière ; les réformes démocratiques intérieures ont progressé. Les plus « européens » des Turcs ne s’en contentent peut-être pas mais « le voyage est plus important que la destination », affirment-ils. Il suffit que la pression de l’UE se maintienne pour que les réformes continuent. Avec ce danger cependant toujours présent : si l’adhésion apparaît clairement comme une chimère, la pression cessera de produire des effets. Le processus de changement risque de s’arrêter, et la Turquie sera abandonnée au milieu du gué avec ses problèmes non résolus.

Impliquer plus les jeunes Turcs dans l’Europe ? Certes, répondent les « modernistes », mais d’abord les impliquer dans la Turquie, discuter de ses problèmes, des tabous qui persistent malgré les progrès de la liberté d’expression, et du rôle de l’islam politique, qui est la question de plus en plus ouvertement posée.

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