Le groupe socialiste de l’Assemblée nationale a déposé, le 12 avril, une proposition de loi visant à sanctionner la négation du génocide arménien. Elle vise à compléter la loi du 29 janvier 2001 sur la reconnaissance du génocide de 1915. Le texte propose d’appliquer à ceux qui en contestent la réalité les mêmes peines que celles applicables à la négation des crimes contre l’humanité : elles peuvent aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. La proposition devrait être discutée à l’Assemblée, jeudi 18 mai, dans le cadre d’une séance d’initiative parlementaire réservée au PS.
Trois mois à peine après l’extinction de la polémique sur le passé colonial de la France et l’abrogation de l’alinéa reconnaissant le « rôle positif » de la colonisation, voici l’histoire de nouveau convoquée au Parlement, au risque de raviver les passions.
Pour François Hollande, qui a fortement pesé pour que cette proposition de loi fût soutenue par le groupe, celle-ci obéit avant tout à « une raison de cohérence ». « Depuis le vote de la loi de 2001, adoptée à l’issue d’une bataille difficile sous le gouvernement de Lionel Jospin, les actes de négation ont continué à en diminuer la portée, explique le premier secrétaire du PS. Les dégradations récentes ont renforcé les demandes de la communauté arménienne. » Le 18 avril, des inscriptions niant le génocide arménien avaient été découvertes sur les stèles d’un mémorial qui devait être inauguré à Lyon. Des profanations identiques avaient eu lieu auparavant à Marseille. M. Hollande s’est engagé auprès des socialistes arméniens et des représentants d’associations à ce que la pénalisation soit étendue à la négation de cette tragédie. « La loi est appropriée pour reconnaître le génocide, maintient le député de la Corrèze. La loi est dans son rôle pour condamner sa négation. »
Le président du groupe PS de l’Assemblée, Jean-Marc Ayrault, n’a pas caché ses réserves sur cette démarche qui peut être, à ses yeux, « source de confusion et de difficultés ». Lors du débat sur l’abrogation de l’article consacrant le « rôle positif » de la présence française outre-mer, le député de Loire-Atlantique avait mis en garde contre le risque de créer « des mémoires séparées, des mémoires conflictuelles ». Il aura fallu deux réunions de groupe, les 5 et 12 avril, et « des pressions importantes du parti », concède M. Ayrault, pour emporter la décision.
Depuis, une proposition de loi visant également à sanctionner la négation du génocide arménien a été déposée par Eric Raoult (UMP, Seine-Saint-Denis). Une centaine de députés de la majorité l’auraient cosignée, mettant dans l’embarras le président du groupe, Bernard Accoyer, qui craint de ne pouvoir empêcher les députés UMP de se diviser sur cette question. L’Elysée voit d’un très mauvais oeil revenir sur le terrain parlementaire cette pomme de discorde avec les autorités turques. Le président de la Grande Assemblée nationale de Turquie, Bülent Arinc, a adressé une lettre, datée du 17 avril, à son homologue français, Jean-Louis Debré, pour l’avertir des conséquences que pourrait avoir l’adoption de cette proposition visant à punir la négation du « prétendu génocide arménien ». M. Arinc estime que cela « constituerait un obstacle aux travaux des universitaires et des scientifiques souhaitant explorer ce sujet » et « condamnerait l’idée émise au plus haut niveau que l’histoire n’a pas à être écrite par les hommes politiques ».
Patrick Devedjian, proche conseiller du président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, dénonce ces pressions. « Les négationnistes poursuivent l’objectif du génocide, soutient le député des Hauts-de-Seine. Les événements de Lyon m’ont conduit, malgré mes réticences de juriste, à me rallier au projet. C’est la condition de la paix civile en France. Je crains que l’on n’évolue autrement vers des affrontements communautaires. » Désormais, M. Devedjian plaide pour un texte « consensuel » que pourraient voter tous les partis.
Le débat sur l’articulation entre la loi, l’histoire et la mémoire risque fort, pourtant, d’être relancé. En décembre 2005, des historiens avaient demandé l’abrogation de dispositions législatives qu’ils jugeaient « indignes d’un régime démocratique ». Ils visent non seulement la loi du 23 février 2005 sur les rapatriés, mais aussi les lois du 13 juillet 1990 - dite loi Gayssot - réprimant la négation de crimes contre l’humanité, du 29 janvier 2001 sur la reconnaissance du génocide arménien et du 21 mai 2001 reconnaissant l’esclavage et la traite des Noirs comme crimes contre l’humanité. Autant de mesures qui, selon ces historiens, « ont restreint la liberté de l’historien, lui ont prescrit des méthodes et posé des limites ».
Article paru dans l’édition du 02.05.06