Les décideurs économiques turcs, massivement pro-européens, ont entrepris de séduire les élites françaises. Leur message : la Turquie n’est pas un boulet pour l’Europe mais un moteur.
NICOLAS Sarkozy ne veut pas de la Turquie dans l’Union européenne ? Plutôt que de sombrer dans le fatalisme, les décideurs économiques turcs, massivement pro-européens, ont entrepris de séduire les élites françaises. Depuis hier, 3 novembre, une demi-douzaine de dirigeants de grandes entreprises turques, accompagnés d’un universitaire stambouliote, ont débarqué à Toulouse. Au programme, des rencontres avec Thierry Costelle, le maire-adjoint, Gérard Onesta, vice-président du Conseil régional de Midi-Pyrénées, Thierry Dumas, vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie toulousaine.
Le message ? La Turquie n’est pas un boulet pour l’Europe, au contraire, c’est un moteur. « La Turquie affiche une croissance à deux chiffres au cours des six premiers mois de l’année, la meilleure performance au monde après la Chine, explique fièrement Pekin Baran, président de l’affréteur maritime Denizcilik, rencontré par Challenges quelques jours avant, à Istanbul. La Turquie respecte les critères de Maastricht en matière de déficit budgétaire et de dette publique... ce qui n’est le cas d’aucun des vingt-sept membres de l’Union européenne ! »
Pour enfoncer le clou, une conférence sur « la nouvelle politique étrangère turque » devait convaincre les étudiants de Sciences-Po Toulouse du caractère constructif et amical de la diplomatie turque. Trop conciliante à l’égard de l’Iran ? « La Turquie n’a pas voté l’embargo, mais elle l’applique... alors qu’elle a beaucoup à y perdre sur le plan des échanges économiques », défend Söli Hözel, spécialiste des relations internationales à l’université Kadir Has d’Istanbul, qui a fait le voyage jusqu’à la ville rose. Même topo devant la presse ce jeudi 4 novembre, au Crown Plaza.
En fait, l’offensive de charme ne date pas d’hier. Désireux de pousser la candidature de la Turquie à l’UE auprès des décideurs français, l’establishment turc s’est joint au gratin des patrons, des politiques et des intellectuels de l’Hexagone pour créer, en octobre 2009, l’Institut du Bosphore, à l’origine de cette virée toulousaine.
Au sein de ce think tank, que du beau monde ! La preuve : Henri de Castries, P-DG d’Axa, partage la présidence du comité scientifique avec Kemal Dervis, ancien ministre de l’économie et ex vice-président de la Banque mondiale. Parmi les autres membres du comité scientifique, se pressent, en vrac, côté français, Alexandre historien essayiste, Stéphane Fouks, président d’Euro RSCG, Bernard Guetta, chroniqueur à France Inter, Jean-Pierre Jouyet, ex-ministre des Adffaires européennes et président de l’Autorité des marchés financiers. Les politiques ne sont pas oubliés : Pierre Moscovici, pour le PS, Thierry Mariani, pour l’UMP, sans oublier Michel Rocard, Catherine Tasca... Moralité ? Avec l’Institut du Bosphore, la Turquie dispose en France d’un lobby influent. Et actif : après Toulouse, la tournée devrait se poursuivre à Lyon et Marseille en février prochain, puis Nantes et Lille en mai.
par Eve Charrin, journaliste à Challenges, jeudi 4 novembre 2010.