À une semaine de la venue à Paris du président turc, Abdullah Gül, qui inaugurera le 9 octobre une exposition au Grand Palais dans le cadre de la Saison de la Turquie en France, le ministre des affaires européennes, Egemen Bagis, explique pourquoi son pays veut entrer dans l’Union.
Comment votre pays gère-t-il l’hostilité française à votre perspective d’adhésion à l’Union européenne ?
Egemen Bagis : La France et la Turquie entretiennent des relations diplomatiques depuis 1489… Il y a eu des hauts et des bas, mais, au bout du compte, la relation est durable, positive et fructueuse.
L’attrait de la Turquie pour l’Union européenne n’est pas nouveau. Il date de 1963. En 2005, tous les membres de l’Union ont été d’accord pour ouvrir les négociations d’adhésion. Depuis, à chaque fois que nous ouvrons un des chapitres de l’acquis communautaire – nous en avons ouvert onze à ce jour –, c’est avec une décision unanime des Vingt-Sept, y compris la France.
Nous sommes une nation patiente et déterminée à intégrer l’Union. Mais nous respectons l’opinion de ceux qui ont des doutes. La Turquie ne deviendra pas membre aujourd’hui ou demain, mais quand elle sera prête et quand l’Europe sera prête. Quand ? Six ? Dix ? Douze ans ?
Paris a prévu de soumettre cette question à référendum. Qu’en pensez-vous ?
J’accepte cette perspective. Je ne voudrais pas être membre d’un club où je ne serais pas désiré. Au regard de l’histoire de l’Europe, quand vous voyez que la France est dans une même union politique que la Grande-Bretagne et l’Allemagne, vous vous demandez pourquoi ce ne pourrait pas être le cas avec la Turquie. Aujourd’hui, nous devons nous concentrer sur le processus par lequel, en effectuant des réformes, la Turquie devient une démocratie laïque plus forte et un partenaire stable pour l’Union.
Vous parlez de démocratie laïque alors que votre Parti de la justice et du développement (AKP) est soupçonné de vouloir mener une islamisation rampante. Quel est votre but ?
Nous sommes au pouvoir depuis huit ans. Vous nous avez vus à l’œuvre. Durant cette période, nous avons construit le tiers des écoles aujourd’hui existantes. Des écoles, pas des mosquées ! Depuis huit ans, si nous avions eu un « agenda caché », cela n’aurait échappé à personne. Au contraire, la Turquie s’est modernisée et s’est rapprochée de l’Union plus qu’elle ne l’avait jamais fait. Elle est devenue un acteur de la communauté des nations comme elle ne l’avait jamais été : nous avons des troupes de maintien de la paix dans plus de 30 pays, souvent aux côtés des vôtres.
Dans l’opinion française, il y a la perception d’un conflit entre l’Occident et le monde musulman. N’est-ce pas un problème pour la candidature de la Turquie ?
Quand je conduis les négociations avec l’Union, je ne me sens pas seulement responsable de 70 millions de Turcs, mais je sens aussi le soutien d’un milliard et demi de musulmans et de plus de trois milliards d’êtres humains qui pensent qu’ils ont été trop longtemps négligés par les valeurs et le développement de l’Europe. Il y a beaucoup de colères et de frustrations envers l’Occident dans les pays musulmans et plus largement en Afrique et en Asie. La Turquie a un rôle de pont à jouer.
L’enjeu existe aussi à l’intérieur de l’Europe, où vivent 25 millions de musulmans, dont six millions en France. Les jeunes à l’origine des troubles dans les banlieues françaises et des attentats en Grande-Bretagne étaient nés dans ces deux pays. Ils ont besoin d’un message clair. L’Europe doit décider si elle veut qu’ils soient influencés par Ben Laden ou si elle veut des leaders comme mon premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, qui veulent occidentaliser et démocratiser leurs pays, y implanter l’économie de marché, et le rapprocher de l’Europe. En écartant la Turquie, les pays de l’Union prendraient le risque de construire un mur de discrimination, avec le monde islamique, mais aussi en leur sein, envers leurs propres citoyens.
La Turquie et l’Arménie doivent signer un accord d’ouverture de leurs frontières la semaine prochaine. Qu’est-ce que cela implique ?
Nous espérons que le gouvernement arménien va saisir cette occasion pour améliorer ses relations non seulement avec nous, mais avec tous ses voisins, notamment la Géorgie et l’Azerbaïdjan, un pays dont nous partageons la langue et la religion. La Turquie ne peut y parvenir toute seule. Il faut le soutien des membres du « groupe de Minsk », notamment les États-Unis, la Russie et la France, qui œuvre à ramener la paix entre Arménie et Azerbaïdjan.
Dans le domaine des libertés religieuses, il est difficile de comprendre pourquoi la Turquie refuse toujours de rouvrir le séminaire grec-orthodoxe de Halki, fermé en 1971…
Je suis d’accord avec vous ! Si cela dépendait de moi, ce serait déjà fait. Mon gouvernement analyse actuellement l’arrière-plan juridique de l’affaire pour voir comment rouvrir le séminaire et sous quel régime. Cela dit, c’est une question très sensible en Turquie, car elle renvoie à la situation de la minorité musulmane en Grèce, où des centaines de milliers de Turcs ont des difficultés pour pratiquer leur foi islamique. Ce sont des problèmes que le gouvernement grec doit résoudre. Je ne parle pas de réciprocité, car on ne saurait soumettre les droits de l’homme à un tel principe. Mais des pas du gouvernement grec nous aideraient.