Le président turc Abdullah Gül et le secrétaire d’Etat aux affaires européennes Pierre Lellouche se sont confié à EurActiv lors d’une conférence à Istanbul, qui est apparue comme une répétition générale avant la visite décisive du président français Nicolas Sarkozy plus tard dans l’année.
La Turquie n’acceptera aucun cadre pour ses relations avec l’UE à part une adhésion entière, a confié M. Gül à EurActiv dans un entretien exclusif.
Etant donné que M. Sarkozy s’oppose à l’adhésion de la Turquie à l’UE, on a demandé à M. Gül si un autre cadre qui préserverait la politique extérieure indépendante d’Ankara pourrait être une autre possibilité envisageable.
M. Gül a soutenu que son pays avait en effet des relations spéciales avec ses voisins et la région – mais a ajouté que l’Espagne ou le Royaume-Uni avaient exactement le même type de relation avec les pays d’Amérique latine ou le Commonwealth respectivement.
Je ne crois que vous demandiez au Royaume-Uni ou à l’Espagne de limiter leurs relations en raison de la politique de l’UE, si ?
Le chef d’Etat turc a également rejeté les perceptions de l’Europe occidentale selon lesquelles des millions de Turcs s’y installeraient une fois que les restrictions seront levées.
Ecoutez, nous ne sommes plus la Turquie d’il y a 10 ou 20 ans. Le Turquie devient attirante. Les Français et les Allemands viennent en Turquie. De nombreux expatriés viennent s’installer ici. Ils disent que la Turquie est attirante. Ce n’est pas moi qui le dit, a affirmé M. Gül.
Le président turc a fait allusion aux mêmes questions dans son discours lors de la conférence organisée par l’Institut du Bosphore, un think-tank franco-turc soutenu par TÜSİAD, la principale association d’entreprises turque. Le journal français Les Echos et EurActiv Turquie étaient partenaires média de l’événement.
M. Gül a affirmé que la Turquie poursuivait son rôle naturel dans la région, ce que les autres pays ne doivent pas confondre avec des valeurs changeantes ou un manque d’engagement à l’égard de l’Europe. Il a implicitement critiqué M. Sarkozy pour son manque de respect vis-à-vis de la perspective européenne offerte à son pays.
Contre les « double standards »
S’exprimant devant le président, Egemen Bağış, le ministre turc aux affaires européennes et négociateur en chef de l’UE, a pris une position similaire, faisant remarquer sur la question chypriote irrésolue n’avait pas empêché la Grèce et la République de Chypre de rejoindre l’UE – et ne devrait pas non plus entraver la Turquie.
Les deux intervenants principaux, le président Gül et le secrétaire français à l’Europe M. Lellouche, ont convenu qu’ils n’étaient pas d’accord sur l’issue potentielle des négociations d’adhésion de la Turquie, qui ont commencé en 2005 et ont vu la France bloquer les discussions sur plusieurs chapitres de négociation (voir le LinksDossier d’EurActiv sur les relations Turquie-UE).
La Turquie a son projet, qui est l’adhésion, et nous en avons un autre, qui est le partenariat, a dit M. Lellouche à EurActiv.
Dans son discours, il est resté vague sur le type de relation que la Turquie pourrait avoir avec l’Union.
La France veut construire, avec ses partenaires, une Europe qui serait un grand espace de solidarité, de stabilité et de sécurité, et qui engloberait les 27 membres de l’Union, qui sera bientôt élargie avec les Balkans, la Turquie, la Russie et l’Ukraine à ses côtés, a-t-il déclaré.
Toutefois, un degré d’atténuation de la vision française depuis les élections présidentielles de 2007 a été constaté par les participants. Désormais, le mot clé ne semble plus être « partenariat privilégié » mais plutôt un « partenariat stratégique » plus substantiel, bien que la Turquie ne soit pas d’accord.
D’après les diplomates, M. Sarkozy a été conseillé de baisser d’un ton dans sa rhétorique en vue de sa visite en Turquie plus tard dans l’année. Paris a trouvé que, suite aux déclarations de M. Sarkozy qui ont été considérées comme offensives en Turquie, les entreprises françaises avaient été oubliées dans un certain nombre de grands projets. Par exemple, la première centrale nucléaire turque sera construire par l’entreprise russe RosAtom – non pas l’entreprise française Areva.
Positions
Kemal Derviş, ancien ministre de l’économie turc et initiateur du brillant programme de reprise économique de trois ans lancé en 2001 a déclaré que la Turquie et l’Europe devraient inventer leur futur ensemble.
Dans son discours, Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat aux affaires européennes, a salué le potentiel turc, affirmant qu’adopter l’acquis communautaire était bon pour la Turquie dans toutes les hypothèses de relations futures du pays avec l’Union.
M. Lellouche est connu pour avoir soutenu l’adhésion européenne de la Turquie avant de devenir le secrétaire d’Etat aux affaires européennes et d’accepter les positions de M. Sarkozy.
Dans ce qui pourrait être une possible ouverture, il a cité le testament politique de Kemal Atatürk (1938 – fondateur de la Turquie moderne) : aucune recette n’est valable pour toujours.
Interrogé plus longuement par le modérateur Kemal Derviş, M. Lellouche a admis que les négociations pouvaient être un processus dynamique. Dans un entretien exclusif avec EurActiv, le secrétaire d’Etat a souligné qu’il avait écrit lui-même son discours.
Henri de Castries, président du groupe d’assurance AXA et coprésident de l’Institut du Bosphore a souligné que le monde changeait rapidement et a appelé à davantage de travail dans les domaines où il existe un terrain d’entente plutôt que de se concentrer sur les différences.
Dorothée Schmid du think tank parisien IFRI (Institut français des relations internationales) a résumé une étude sur les perceptions françaises, commandée par le think tank EDAM basé à Istanbul. Il montre que les élites françaises sont de plus en plus ouvertes à l’attractivité et aux arguments de la Turquie.
Un groupe de discussion a conclu que les cercles d’entreprises français sont plus réticents que leurs homologues turcs et allemands lorsqu’il s’agit d’intervenir en faveur ou de contredire les politiques gouvernementales.
Le président de l’agence de communication Euro RSCG Stéphane Fouks (qui est également un conseiller informel du directeur général du FMI Dominique Strauss-Kahn, possible candidat socialiste à la présidentielle française de 2012) a fait une déclaration controversée. Il a dit qu’il croyait qu’un référendum en France sur l’adhésion de la Turquie pourrait être positif, malgré les sondages négatifs actuels.
Ceci a déclenché des réactions divergentes des députés français, de gauche, du centre et de droite, qui sont encore traumatisés par l’échec du référendum de 2005 sur la constitution européenne.
Next Steps
Novembre 2010 : Présidence française du G20. Le président Sarkozy doit visiter la Turquie.
Printemps 2012 : Election présidentielle française. La candidature turque devrait être un sujet de controverse.