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Cinq cinéastes témoignent

Istanbul : Travelling sur la ville

mercredi 24 mars 2010, par Jérémie Couston

LE FIL CINéMA - Büyükada, Gümüssuyu... Fatih Akin (“Soul Kitchen”, en salles cette semaine) et quatre de ses confrères racontent les quartiers stambouliotes qu’ils ont pris pour décor de leur(s) film(s). Voire pour personnage... On continue notre visite d’Istanbul.

Propos recueillis par Jérémie Couston

A la différence de New York, qui a trouvé en Woody Allen son prophète, Istanbul a longtemps attendu des cinéastes pour la mettre en scène avec passion. Depuis la renaissance du cinéma turc, à la fin des années 90, deux générations de réalisateurs, nés après 1950, ont fait de leur ville une vedette. Rencontre avec cinq d’entre eux, à Paris et à Rennes, où le festival Travelling leur rendait hommage.

Pelin Esmer : “Surprise garantie...”

Née à Istanbul en 1972, Pelin Esmer est diplômée en sociologie à l’université du Bosphore. Après deux documentaires, “10 to 11” est son premier long métrage de fiction. Il raconte l’amitié d’un vieux collectionneur de journaux et du concierge de son immeuble, promis à la destruction.
« Istanbul peut être considérée comme le troisième personnage de mon film, le lien entre les deux hommes. Grâce à sa collection, le vieillard va permettre au concierge de découvrir une ville qu’il n’a pas eu l’occasion de parcourir, puisqu’il n’a presque jamais quitté sa loge... J’ai tourné dans le centre historique d’Istanbul, sur la rive asiatique, à Gümüssuyu. Les maisons des années 40 et 50 ont été démolies, remplacées par des immeubles neufs qui respectent les normes sismiques. L’Etat en profite, parfois, pour exproprier les populations pauvres, notamment les Roms, relogés à plusieurs dizaines de kilomètres de là, déracinés. J’ai vécu pendant un an en Californie et pendant quelques mois à Paris, où j’ai écrit le scénario de 10 to 11. Mais je reviens toujours à Istanbul. Pas seulement pour mes amis et ma famille, mais parce que c’est une ville qui m’épate. Tous les matins, quand je me réveille, la surprise est ga­rantie, bonne ou mauvaise. C’est une raison suffisante pour y vivre ! »

Hakki Kurtulus et Melik Sa­raçoglu : “Un hommage à Bergman”

Hakki Kurtulus (29 ans) et Melik Sa­raçoglu (26 ans) sont nés à Istanbul. Etudes de cinéma entre la Turquie et la France (Lyon). « Là-bas », leur premier long métrage, décrit vingt-quatre heures de l’histoire d’une famille stambouliote déchirée. Après le suicide de leur mère âgée, le fils et sa sœur aînée partent retrouver leur père pour lui annoncer la nouvelle.
« Nous n’avons pas voulu faire un film « oriental » avec les mêmes images de mosquées et de rues surpeuplées. Nous tenions à montrer des visages d’Istanbul que même les Stambouliotes ne connaissent pas bien. La moitié de notre film se passe à Büyükada, la plus grande des îles de l’archipel des Princes, au large d’Istanbul. Pendant l’ère byzantine, elles servaient de lieu d’exil : les rois y envoyaient leurs rivaux, leurs frères. Cette tradition a duré jusqu’à l’époque ottomane. Avec le déve­loppement de la technologie, les îles sont devenues habitables, et les Juifs, les Arméniens s’y sont ins­tallés. Les véhicules à moteur y restent interdits. Aujourd’hui, c’est une destination touristique. A moins d’une heure d’Istanbul et son explosion urbaine dévastatrice, elles sont à la fois proches et lointaines, havre de paix très apprécié des artistes qui y résident, et lieu de vil­légiature pour les amoureux stambouliotes qui viennent y passer le week-end : les anciens palais, dessinés par des architectes arméniens, sont devenus des hôtels. On y mange du poisson, on boit du raki : c’est le folklore d’Istanbul.
Tourner à Büyükada était, aussi, l’occasion de rendre hommage à notre cinéaste préféré, Ingmar Berg­man, et à ses films tournés sur son île de Fårö. Cet hiver, en guise de pèlerinage cinématographique et intellectuel, nous avons réalisé un documentaire à Fårö, Viagge in Bergmania ! Réaliser nos films en duo nous permettra peut-être de nous élever plus facilement à son niveau ! »

Fatih Akin : “Une ville extrême”

Né en 1973 à Hambourg, Fatih Akin est révélé en 2003 avec « Head-on », Ours d’or à Berlin. Ses films pleins de fièvre font des allers-retours entre la Turquie et l’Allemagne. Le dernier, « Soul Kitchen », sort cette semaine.
« L’Istanbul de Head-on était sombre, l’Istanbul de De l’autre côté était au contraire lumineuse. Istan­bul est la ville des contrastes et des contradictions. Une ville extrême. Quand il pleut, c’est le déluge. Quand il neige, c’est l’âge de glace. Le soleil ne brille pas, il brûle. Cela joue sur les mentalités des habitants. On peut y être soit très heureux, soit très malheureux. Voilà le secret de la ville. Mais je ne pourrais pas y vivre. C’est une ville trop grande, trop bruyante, trop peuplée. Surtout pour moi qui vis à Hambourg, une ville d’à peine deux millions d’habitants, dix fois moins qu’à Istanbul ! J’ai l’habitude de me déplacer à vélo, ce qui est inconcevable dans cette mégalopole, paralysée par les embouteillages. C’est la raison pour laquelle, chaque fois que je m’y rends, environ une fois pas mois, je descends toujours dans un hôtel à Taksim, un quartier central, celui de l’industrie du cinéma, où je peux tout faire à pied. »

Reha Erdem : “C’est très excitant”

Né en 1960, Reha Erdem suit des études d’histoire à Istanbul avant d’apprendre le cinéma à Paris-VIII. En 2006, « Des temps et des vents », poème contemplatif sur l’adolescence, le rend célèbre. Son cinquième film, « My only sun­shine », raconte le quotidien d’une gamine de 14 ans qui vit avec son père et son grand-père sur les rives du Bosphore.
« Istanbul n’est pas une ville linéaire. Cinématographiquement, c’est très excitant. La diversité des décors, des paysages, permet l’imaginaire. J’ai­me utiliser des lieux hors du temps, et Istanbul est idéale pour ça. Mes villes ne sont pas réelles : elles ressemblent plutôt à un collage. Je prends des bouts de décors par-ci, par-là et je construis, à chaque film, mon Istanbul à moi... Par exemple, la maison au bord de la rivière où habitent mes personnages a été créée de toutes pièces. La rivière existe bien, elle est située sur la rive asiatique d’Istanbul et se jette dans le Bosphore. Mais le quartier où j’ai filmé n’est absolument pas résidentiel, et encore moins populaire. Sur le plan narratif non plus, mon film ne fait pas référence à une réalité sociologique. Son titre original, Hayat Var, est à double sens : c’est à la fois un prénom de jeune fille et une expression qui signifie « la vie existe »... Mon univers est à l’opposé de celui de Fatih Akin, qui donne à voir une Istanbul moderne et réaliste. Ou des chefs de file du nouveau cinéma turc : Nuri Bilge Ceylan - si l’on excepte Uzak - ou Semih Kaplanoglu - qui vient de remporter l’Ours d’or, à Berlin, pour Miel - tournent plutôt à la campagne, en dehors d’Istanbul. »

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Sources

Source : Télérama n° 3140

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