Par Martin Hutchinson
Recep Tayyip Erdogan va avoir besoin de talent autant que de chance. Le premier ministre turc affiche un assez bon bilan économique : il a stabilisé la dette de l’Etat et favorisé un appréciable taux de croissance avant que la récession ne s’installe du fait de la crise mondiale. Cependant, son parti, l’AKP, au pouvoir depuis 2002, est confronté à des problèmes internes sans vraie perspective d’aide extérieure.
La situation économique n’est pas désastreuse. La crise est certes profonde et les taux d’inflation et de chômage préoccupants, mais le déficit budgétaire de la Turquie est maîtrisé. Dès qu’une vraie reprise s’amorcera pour l’économie internationale, le pays devrait renouer avec la croissance.
Popularité entamée
Reste que la crise grecque a bouché les perspectives déjà sombres d’une adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE). Celle-ci, qui s’inquiète de devoir renflouer ses Etats membres, ne voudra pas intégrer un pays pauvre, très peuplé et enclin aux déficits budgétaires lourds. Souhaitée aussi bien par Ankara, qui y voit une aide au développement, que par l’opposition laïque, car elle constituerait un rempart contre les tendances islamistes du gouvernement, l’adhésion n’est pourtant pas au programme.
La récession, naturellement, a entamé la popularité du gouvernement. La cote de confiance de l’AKP est tombée de 47 % en 2007 à 29,5 % en janvier. C’est encore respectable dans le contexte actuel, mais ce recul ne manque pas de donner un regain d’énergie aux opposants au régime.
Ce sont pour la plupart des adversaires de l’AKP dans un long conflit qui oppose ce parti au vieil « establishment » militaire et laïque. Celui-ci pourrait avoir atteint un point critique après l’arrestation d’officiers supérieurs de l’armée soupçonnés d’ourdir un coup d’Etat. Cette bataille sape un capital politique qu’Erdogan pourrait exploiter pour promouvoir des réformes économiques.
La volonté du premier ministre de renforcer les relations de la Turquie avec ses voisins radicaux déplaît aux Etats-Unis, alliés traditionnels d’Ankara, sans pour autant ouvrir de véritables perspectives économiques, les pays non pétroliers étant dans une situation difficile. Un rapprochement avec la Chine et l’Asie de l’Est pourrait être bénéfique. Mais les échanges commerciaux Chine-Turquie, qui s’élevaient à 12,8 milliards de dollars (9,3 milliards d’euros) en 2008, affichent un net déséquilibre en faveur de Pékin, et les investissements directs chinois en Turquie ne représentaient que 313 millions de dollars en septembre 2009.
Recep Erdogan doit parfois se rêver en dirigeant du Brésil : bien que dans une position économique semblable, ce pays ne rencontre pas de tels obstacles pour avancer.
(Traduction de Julie Marcot)