Les débats provoqués ces derniers jours par les discussions de la « Commission Özbudun » sur le projet de Constitution civile en feraient presqu’oublier les échéances européennes qui restent celles de la Turquie, particulièrement en cette fin d’année où l’on s’achemine vers le rendu du traditionnel rapport d’évaluation de la Commission. La semaine dernière un responsable européen avait estimé, à cet égard, que l’annonce du projet de Constitution civile ne suffirait pas à convaincre les autorités européennes que la Turquie avait définitivement repris le chemin des réformes. Bruxelles veut donc des « signes concrets », notamment l’abrogation de certaines dispositions du Code pénal comme celle du tristement célèbre article 301 rendue encore plus urgente depuis le meurtre de Hrant Dink. Car, loin de se « fossiliser » ces dispositions restent une menace permanente pour la liberté d’expression en Turquie comme vient encore de le montrer la décision de la Cour d’Appel qui a infirmé, il y a quelques jours, le jugement d’un tribunal de première instance acquittant, l’an passé, les Professeurs Ibrahim Kaboglu et Baskin Oran. Rappelons que ces universitaires ont été inculpés à la suite d’un rapport sur les minorités qu’ils avaient pourtant rendus en leur qualité officielle, respectivement de président et de membre d’un Conseil consultatif des Droits de l’Homme créé par le gouvernement. Ce dernier n’a pas osé affronter les milieux nationalistes au moment où les échéances électorales de 2007 s’annonçaient et n’a jamais réagi depuis pour défendre ses deux experts…
De surcroît, depuis qu’il a obtenu de l’Union Européenne, fin 2004, une décision de principe fixant l’ouverture des négociations d’adhésion qui ont pu commencer en 2005, il est clair que le gouvernement a arrêté les réformes qui avaient significativement transformé l’ordre constitutionnel et législatif turc pour le rapprocher des standards européens. Le rapport d’évaluation mitigé de 2005 déplorait ainsi un « ralentissement » des réformes. Celui de 2006, franchement sévère pour la Turquie, pointait du doigt un certain nombre de turpitudes, en particulier l’article 301 du Code Pénal et d’autres dispositions touchant aux libertés individuelles, aux droits des femmes ou au droit des minorités.
À l’issue de ce dernier rapport, Recep Tayyip Erdogan et Abdullah Gül avaient laissé entendre que l’article 301 pourrait être révisé. On sait ce qu’il en est advenu et il est probable que la déclaration faite, le 17 septembre 2007, par le nouveau ministre des affaires étrangères, Ali Babacan, annonçant un programme de réformes « visant à harmoniser la législation turque avec l’acquis communautaire », ne suffira pas à combler les attentes européennes si elle ne s’accompagne pas d’un geste très significatif. La réactivation inattendue du procès Kaboglu-Oran est peut-être un coup des milieux judiciaires les plus nationalistes pour mettre le gouvernement dans l’embarras, il n’en reste pas moins qu’elle risque de rendre le geste attendu par l’Union Européenne encore plus nécessaire…