Zeynep Fadillioglu était surtout connue pour avoir réalisé la décoration intérieure de restaurants chics et branchés à Istanbul et à Londres. Cette designer turque de 53 ans exerce désormais ses talents artistiques dans la construction… d’une mosquée.
Situé sur la rive asiatique de la mégapole turque, l’édifice a été commandé par une riche famille turco-saoudienne. « J’ai pleuré quand le projet m’a été proposé, raconte-t-elle. A ma connaissance, jamais une telle tâche n’avait été confiée à une femme auparavant. »
A la tête d’une équipe d’architectes, « essentiellement féminine », Zeynep Fadillioglu a conçu une mosquée lumineuse et douce, une synthèse d’avant-garde et d’art traditionnel. Le dôme en aluminium a été réalisé par le designer britannique William Pye. Dans la cour, les minarets se reflètent dans le miroir de la fontaine aux ablutions. Dans la salle, les murs en verre ouvrent sur le monde extérieur. Des écritures stylisées, reprenant le rythme des versets coraniques, ondulent le long des parois. Tel un écrin, ces volutes dorées envelopperont les fidèles.
« Je veux que les gens s’approprient le lieu, qu’ils s’y sentent en paix, explique-t-elle. Il fallait donc doser l’innovation afin de ne pas les effrayer. » Un moment, elle a eu un doute sur la forme de coquillage du mihrab – la niche dans laquelle l’imam conduit la prière. « Mais le mufti (ndlr : dignitaire religieux) a adoré. »
Donner l’exemple
Sa grande fierté, c’est la place réservée aux femmes dans la mosquée. Zeynep Fadillioglu a voulu un endroit ouvert, qui donnera l’exemple. « Dans certains coins d’Anatolie, la section des femmes est reléguée à côté des toilettes, critique-t-elle. Une telle ségrégation n’existait pas à l’époque du prophète. »
La Turquie, république laïque, a accordé très tôt des droits aux femmes : celui de voter par exemple, obtenu en 1934, de divorcer ou d’avorter. Mais un islam patriarcal pèse encore sur une grande partie des Turques.
Pur produit de la grande bourgeoisie laïque d’Istanbul, cette architecte d’intérieur revendique son identité musulmane, tout en étant très peu pratiquante. Elle reconnaît d’ailleurs « avoir eu quelques préjugés avant de faire travailler ensemble des calligraphes, spécialistes de l’art religieux, et des artistes contemporains. En fait, tout s’est très bien passé. » Les critiques sont plutôt venues de certains de ses amis, farouchement laïques. Car la société reste divisée sur la place que doit occuper la religion dans l’espace public.
Zeynep Fadillioglu espère que la mosquée, dont l’ouverture au public est prévue au printemps prochain, sera un symbole d’harmonie et « qu’elle ne sera récupérée par aucun camp ».