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Turquie : Le CHP nuance sa position sur l’ouverture kurde du gouvernement.

samedi 10 octobre 2009, par Jean Marcou

Lors d’une réunion de son parti, le 7 octobre 2009, le leader du CHP, Deniz Baykal a fait savoir qu’il pourrait apporter son soutien à l’ouverture kurde du gouvernement, et ce, à condition, qu’un certain nombre de lignes rouges ne soient pas franchies. Ces lignes rouges concerneraient le maintien de la langue turque comme langue exclusive d’enseignement, l’assurance qu’aucune réforme ne portera atteinte à l’Etat unitaire, et l’engagement de ne pas amnistier le leader du PKK, Abdullah Öcalan.

Le CHP n’a cessé de critiquer l’initiative kurde du gouvernement depuis qu’elle a été lancée, au mois de juillet, par le premier ministre (notre édition du 13 août 2009). Toutefois, une modération de ce rejet a été évoquée à plusieurs reprises au cours des dernières semaines. On a souvent rappelé que, dans les années 90, le CHP avait lui aussi tenté de s’attaquer au problème kurde, notamment en accueillant des députés kurdes sur ses listes, et l’on a également observé qu’en tout état de cause, son opposition actuelle au projet gouvernemental ne semblait pas aussi radicale que celle des nationalistes du MHP.

Pourtant, il faut sans doute rechercher les causes de ce changement de position du parti kémaliste dans le contexte politique ambiant. En premier lieu, l’opposition parfois farouche manifestée par Deniz Baykal au projet du gouvernement est loin d’avoir fait l’unanimité au sein de ses troupes. Plusieurs voix dissonantes se sont élevées depuis un certain temps, notamment celle du responsable du parti à Istanbul, Gürsel Tekin, ou celle du maire d’Izmir, Azız Kocaoğlu. Des sondages ont montré que l’électorat du CHP était plutôt favorable au plan kurde du gouvernement. Et, pour couronner le tout, le petit parti de gauche DSP, allié au CHP lors des dernières élections, a apporté son soutien à l’ouverture kurde.

En deuxième lieu, l’armée qui avait accueilli l’initiative du gouvernement par un silence que beaucoup d’observateurs ont analysé comme un accord tacite, a confirmé son attitude, la semaine dernière, en assistant au discours de rentrée parlementaire que le Président de la République, Abdullah Gül, a largement consacré à la question kurde (cf. notre édition du 3 octobre 2009). L’état major boudait le parlement depuis 2007, notamment en raison de la présence en son sein, du groupe parlementaire kurde du DTP, qui est le quatrième par ordre d’importance numérique avec 20 députés. Par ailleurs, le CHP s’est à plusieurs reprises montré plus radical que l’armée sur la question kurde pour des raisons généralement tactiques. Il avait notamment engagé une virulente polémique avec le chef d’état major, au moment de la fin de l’intervention militaire de février 2008, accusant les militaires d’avoir écourté leur incursion en Irak du nord pour satisfaire une exigence américaine (cf. notre édition du 13 mars 2008). Si on ajoute donc aux doutes qui s’expriment au sein du parti, la position modérée de l’armée, on comprend que la direction du CHP semble aujourd’hui menacée d’isolement.

Mais, en troisième lieu, il faut voir que cet isolement ne concerne pas que le leader du CHP, mais l’image même de sa formation politique. Recep Tayyip Erdoğan l’a bien compris d’ailleurs en taclant durement le CHP dans ses dernières interventions publiques, et en en faisant le responsable des principaux blocages que connaît encore la société turque, alors qu’il se posait en chantre de la diversité et du changement (cf. notre édition du 6 octobre 2009). Au moment, où la Commission européenne s’apprête à rendre son rapport sur les progrès de la candidature turque, cela a son importance, car tandis que le gouvernement peut aujourd’hui se targuer d’avoir repris les réformes en s’attaquant à de vrais problèmes, le CHP risque d’apparaître de plus en plus, aux yeux des Européens, comme l’empêcheur de tourner en rond de la politique turque. Il ne faut pas oublier, de surcroît, que le parti kémaliste n’a pas ménagé ses critiques à l’égard d’un autre processus d’ouverture, largement salué en Europe et sur la scène internationale : l’accord avec l’Arménie, qui doit permettre prochainement une normalisation des relations entre Ankara et Erevan, et une ouverture de leur frontière commune (cf. nos éditions du 1 et 3 septembre 2009). Dossiers arménien et kurde, il y a là deux problèmes de fond qui, certes, ne sont pas encore résolus. Mais nul ne saurait nier qu’une dynamique politique nouvelle est apparue dans les deux cas, et qu’en refusant de l’admettre, le parti de Deniz Baykal tend à se marginaliser, en se retrouvant de plus en aligné sur les positions extrêmes des nationalistes du MHP.

Cette évolution de la position du CHP, si elle se confirme, est particulièrement importante pour l’avenir de l’initiative kurde du gouvernement, car elle est susceptible de débloquer la situation sur le plan juridique, et de permettre d’aller plus loin dans les réformes. En effet, si le CHP soutient l’ouverture, le gouvernement pourra facilement réviser la Constitution, en proposant des mesures concernant en particulier la définition de la citoyenneté. Or, plus le projet du gouvernement apparaîtra comme consistant, plus il a des chances d’être pris au sérieux par le DTP et plus généralement par l’opinion publique kurde. Deniz Baykal a d’ailleurs laissé entrevoir cette perspective de révision constitutionnelle, en annonçant d’emblée qu’il pourrait accepter l’amendement des articles 14 et 83 de la Constitution, ce qui mettrait à l’abri les députés kurdes, inculpés sur la base de ces dispositions, du risque d’être amenés de force dans un tribunal (cf. notre édition du 4 octobre 2009)… une perspective qui ne réjouit actuellement personne en Turquie, à l’exception peut-être des membres du MHP.

Au moment où Recep Tayyip Erdoğan surfe sur la vague déferlante provoquée par ses initiatives kurde et arménienne, le leader du CHP, qui a été sévèrement chapitré, ces jours-ci, par certains ténors de son parti, semble avoir enfin compris qu’il doit bouger à son tour. Il était temps !

JM

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