Logo de Turquie Européenne
Accueil > Editoriaux > Turquie : du e-coup d’Et@t au nano coup d’Etat

Turquie : du e-coup d’Et@t au nano coup d’Etat

mercredi 9 mai 2007, par Baskın Oran

L’avant-dernier “mémorandum” de la chose militaire turque (28 février 1997) fut qualifié de post-moderne. Le dernier est électronique : un e-mémor@ndum. Le suivant ne passera certainement pas à côté de la révolution nanotechnologique.

JPEG - 16.5 ko

La totalité de cette dernière déclaration a été consacrée à la critique des célébrations alternatives organisées par les islamistes lors du dernier 23 avril ; la dernière partie a touché au cœur du sujet :
Les forces armées turques mèneront à bien et sans manquement l’ensemble des missions qui leur ont été confiées par la loi.”
Le plus intéressant reste cependant cette phrase sans rapport avec le reste et placée en toute fin de texte : “Toute personne s’opposant à l’idée selon laquelle est “heureux celui qui se dit Turc” (référence à une sentence kémaliste) est un ennemi de la Turquie et le restera.
C’est certainement pour cette raison que l’ironie s’est substituée au frisson de peur : on parle de piratage du site de l’état-major des armées turques ; les juristes ont réagi vivement en se demandant “qui était censé protéger qui et de qui ?

Ce ne peut être l’état-major ; juste un médiocre éditorialiste”. “Ou alors une bande d’insomniaques”... pouvait-on lire dans de nombreuses déclarations.

Quant à l’arrêt de la Cour Constitutionnelle concernant le quorum de 367 députés présents pour la validité du premier tour de la présidentielle, il a réussi à sauver à la fois les tenants d’un kémalisme des années 30 qui ne veulent voir la République « qu’iceberguisée » depuis 75 ans et l’état-major de l’AKP (parti au pouvoir). Et bien évidemment, tous ceux qui prétendent que la Cour Constitutionnelle ne relève pas du pouvoir judiciaire mais bien de l’opposition "extra parlementaire.”

- 1) “Entreprise visant à porter atteinte à l’ordre constitutionnel” (art 309 du code pénal ; peine d’emprisonnement à perpétuité avec clause de sûreté élevée)

- 2) “ Atteinte aux prérogatives du pouvoir législatif ” (article 311 du code pénal, perpétuité renforcée)

- 3) “Atteinte aux pouvoirs du gouvernement” (article 312 du code pénal, perpétuité)

- 4) “Menace visant à susciter la panique parmi la population” (article 213 du code pénal, 4 ans)

- 5) “Avilissement ou incitation à la haine” (article 216/1, 3 ans). Il s’agit ici de désigner une partie du peuple comme ennemi.

- 6) “ Tentative d’influencer une décision de justice impartiale ” (article 288 du code pénal ; 3 ans )

Voilà toutes les infractions et délits que recèle l’émission de cet e-mémor@ndum. Mais tout cela relève de la compétence des procureurs ; donc, passons.

Je veux dire des procureurs militaires. Parce que les tentatives de coup d’Etat relèvent aujourd’hui du parquet militaire de l’état-major général (Milliyet, 28.04.2007).


Cette fois, la déclaration des militaires n’a pas fait peur. Tout simplement parce que l’environnement ne s’y prête pas. Les « provincialités » de l’AKP, je veux dire le fait d’avoir fait chanter des chants sacrés à des enfants tout couverts de vert ne suffisent pas à légitimer un coup d’Et@t. Et il semble bien que, aussi bien l’état-major que Baykal (président du CHP, principal parti d’opposition parlementaire) se sont laissés prendre au vent des manifestations du 14 avril. En parlant de vent, jetons donc un coup d’oeil aux deux “principaux protagonistes” :

1) L’AKP ressortira renforcé des prochaines élections anticipées ; il en a toujours été ainsi. Mais s’il veut le pouvoir, il devra se démocratiser. Sinon, il en reviendra aux vieilles lunes islamistes du Refah et du Fazilet (les anciens partis islamistes) et disparaîtra peu à peu.

2) De ce processus en cours, ce sont surtout les kémalistes sauce années 30 qui en sortiront affectés. Car comment tenir des foules de cette ampleur, chargées de tant d’attentes, sans laisser de côté la machine à faire des glaçons ?

La fonte a d’ores et déjà commencé :

a) L’organisateur du 14 avril était celui dont tout le monde parlait, ce fervent héraut de l’urgente nécessité d’un coup d’Etat, le Général en retraite Sener Eruygur. Celui du 29 avril était le Professeur Türkan Saylan ; une femme qui déclarait : “il est très clair que les coups d’Etat ne sont pas la solution.” Sans parler des jeunes du CHP dont le slogan fut “ni rangers, ni turban.

Ce que je visais en déclarant que le 14 avril risquait bien d’être le “chant du cygne des kémalistes sauce années 30”, c’était précisément cela : tous ces professeurs et ces politiciens d’une religiosité laïque qui ont fait du mausolée d’Atatürk une nouvelle Ka’aba. Et voilà que la course des événements a, du point de vue du peuple, fait éclater cette conséquence particulièrement dialectique. Comme on dit chez nous, le maître spirituel ne vole pas de lui-même ; ce sont ses disciples qui le font voler. Et ces kémalistes maintenant, que vont-ils faire pour pouvoir continuer de voler ?

b) Pour la grande majorité des manifestants, c’était la première fois qu’ils se retrouvaient dans la rue. Or, leurs mères les ont mis en garde, tout au long de leur jeunesse, en leur recommandant de se méfier et de fuir comme la peste toute manifestation dans la rue. Les voilà devenus coupables et complices.

c) En outre, ces masses qui se perçoivent comme opprimées seront peut-être en mesure de prendre conscience des oppressions dont d’autres sont les victimes. Ils seront peut-être en mesure de saisir, même intuitivement, qu’ils ne sont pas Turcs mais des Turcs blancs. Ils vont peut-être se rendre compte que ce qu’ils méprisent, ce n’est pas la religiosité mais une certaine “négritude”. Ils vont peut-être établir un parallèle entre cette religion et cette laïcité dont on dit, de ci, de là, qu’elles ont tendance à foutre le camp. Ils vont peut-être comprendre que la protection éternelle de l’enfant procède moins d’un besoin de l’enfant que de ceux des parents.

Les deux parties vont enfin être en mesure de saisir que les deux extrémités du pont de corde se nouent l’un au fronton de la laïcité, l’autre à celui de la démocratie.



Et au final, nous parviendrons à ce qu’a vécu la France en 1905 : la réconciliation et l’éducation réciproque des deux France, celle de Marie et de Marianne. Ici, à terre masculine, cette tâche incombe à “deux hommes / garçons ”. Et leur réconciliation ne pèsera pas peu sur celle de la “seconde division turque” : celle opérée entre Turcs et Kurdes.

Après 75 ans, le processus naturel a commencé : c’est de là que proviennent les douleurs. Et que personne ne se mette en tête de “bâtir” un cadre. Car cela ne donnerait rien dans un pays où la grande bourgeoisie, la gauche et la jeunesse proclament en chœur qu’ils ne veulent “ni de la charia, ni d’un coup d’Etat”.

Après cela, un coup d’Etat ne peut plus relever que du rêve. Quand bien même relèverait-il de la révolution nanotechnologique, ce ne serait plus qu’une info « people » parmi d’autres.

Télécharger au format PDFTélécharger le texte de l'article au format PDF

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0