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Quand les Turcs étaient maîtres du monde

lundi 14 février 2005, par Anne-Marie Romero

Le Figaro - 12/02/2005

Ce n’est pas une exposition sur la Turquie, le pays moderne qui postule à l’entrée dans l’Union européenne, que propose la Royal Academy of Arts de Londres, mais sur les Turcs, ce qui est tout à fait différent. « Les Turcs, un voyage de mille ans, de 600 à 1600 » (*) embrasse une épopée formidable, plus spectaculaire encore que les conquêtes d’Alexandre, qui prend naissance dans les hauts plateaux de la Mongolie pour s’achever, au XVIIe siècle, aux portes de Vienne.

Ce sont donc des empires successifs, faits de peuples différents, de religions différentes, puis unis sous la bannière de l’Islam, faisant leur miel d’influences artistiques multiples, ce sont des filiations culturelles troublantes, fruit de guerres, de conquêtes et de cette irrésistible poussée vers l’ouest, que nous content les 370 pièces, d’une beauté et d’une richesse exceptionnelles, réunies pour la première fois par le musée londonien. Une exposition à voir absolument d’autant que nombre d’œuvres, venues du Musée du palais de Topkapi et du Musée d’art turc et islamique d’Istanbul, n’étaient encore jamais sorties de leur pays.

Tout commence dans les steppes d’Asie centrale, où nomadisent des tribus de bergers, entre Chine du Nord et lac Baïkal, les Ouïgours. Leurs premières traces sont décelables au VIe siècle : peintures murales trouvées dans des grottes de Chine ou tableaux sur étoffe où apparaissent des personnages d’inspiration bouddhiste et des stupas, ces tas de pierres sacrées disposés le long des chemins. D’autres tribus sont chamanistes, comme le montre une énorme pierre gravée de signes runiques.

La géographie politique de la région est bouleversée par la naissance de l’Islam et sa fulgurante percée en Asie. A partir du VIIIe siècle, un nouveau groupe de cavaliers nomades turcophones, sunnites, venus des montagnes kirghizes, les Seldjoukides, profite des faiblesses de l’empire abbasside pour conquérir l’Iran et le califat de Bagdad et établir les bases d’un immense empire qui englobera le Pakistan, l’Afghanistan, l’Arménie, la Syrie et l’Irak.

Toutes les caractéristiques de l’art islamique sont déjà présentes sous les Seldjoukides : dans un tapis de Konya, du XIIIe siècle, représentant deux grands dragons opposés, dans ces petites chaises curules porte-Coran, minutieusement sculptées, dans la calligraphie érigée en un des beaux-arts. Des corans richement ornés se multiplient. Reliés de marocain, avec un rabat rehaussé d’or et ornés d’enluminures géométriques raffinées et somptueuses qui n’ont rien à envier à l’art des moines occidentaux de la même époque.

Toutes les influences se font sentir dans cet immense empire : un petit miroir d’argent s’orne, au revers, d’une frise d’animaux enroulés sur eux-mêmes d’inspiration scythe, un brûloir à encens de bronze en forme de félin rappelle les animaux fabuleux créés dans l’Espagne du califat de Cordoue. Et déjà, dans les livres, les enluminures commencent à devenir figuratives, prémices des miniatures persanes qui vont se développer dans les siècles suivants.

Après la chute du pouvoir seldjoukide, battu par les Mongols en 1194, ce sera Timur, connu chez nous sous le nom de Tamerlan, qui récupérera ce vaste empire en 1370, destituant les descendants de son compatriote Gengis Khan. Les Timourides, vont encore modifier les frontières de l’empire turc en pénétrant plus avant en Inde et en assurant leur pouvoir sur l’Anatolie. Leurs capitales seront disséminées à l’aune de l’immensité de leur territoire : Herat, Samarkand, Tabriz et Chiraz.

Cet intrépide seigneur de la guerre n’en sera pas moins, lui aussi, un grand mécène des arts qui vont connaître une floraison sans précédent. C’est sous son règne que la culture des steppes et celle, déjà raffinée, de l’Iran vont fusionner pour construire une authentique culture turque. Tamerlan crée notamment une bibliothèque royale pour mettre en valeur l’importance du livre dans l’Islam. Vous verrez quantité d’ouvrages religieux mais surtout profanes, des livres de poésie sublimes, les diwan, véritables joyaux, regorgeant de miniatures peintes, scènes paradisiaques avec des personnages aux traits chinois barrés d’immenses moustaches. Vous admirerez un manuscrit de 30 mètres de long, catalogue des motifs de décoration architecturale utilisés sous les Timourides.

L’exposition a également réuni un grand nombre de kaftan, ces manteaux matelassés de coton ou de soie, entièrement brodés de fils d’or ou d’argent, parfois doublés de renard, d’une étonnante fraîcheur.

En revanche, la sculpture est rare, pour ne pas dire inexistante. David Roxburgh, professeur d’histoire de l’art et de l’architecture à l’université de Harvard, co-commissaire de l’exposition, a une explication : « Si la représentation humaine en deux dimensions ne gêne pas l’Islam des Seldjoukides, ni des Timourides, la recréation d’un personnage en trois dimensions est considérée comme idolâtre et hérétique. »

D’origine aussi obscure que l’étaient les Seldjoukides, vont

arriver ensuite les Ottomans, du nom de leur chef Osman Ier. Ces tribus sont disséminées le long de la frontière avec l’Empire byzantin qu’ils vont détruire définitivement par la prise de Constantinople, en 1453, rebaptisée Istanbul. Le pouvoir va donc encore une fois se déplacer vers l’ouest, jusqu’au Maroc et au cœur de l’Europe, à Vienne, où s’arrêtera sa progression. Les successeurs d’Osman sont également de fastueux mécènes qui vont vivre dans un luxe inouï.

De cette époque, celle de Soliman le Magnifique avec ses turbans monumentaux surmontés de bonnets pointus, ses armes ornées d’or et de pierres précieuses, l’exposition présente des pièces d’un raffinement extrême. Comme ces chemises « magiques » entièrement inscrites à la peinture d’or de versets du Coran, comme ce jeu d’échecs en cristal de roche orné de cabochons de rubis et d’émeraude, ou ces récipients en dentelle de bronze couverts de gemmes. Comme ce chanfrein de cheval, casque plaqué d’or fin et orné de frises de motifs piquetés. Sans oublier les nombreuses poteries d’Iznik, avec la fraîcheur délicate et toujours intacte de leurs motifs floraux.

(*) Jusqu’au 12 avril 2005 à la Royal Academy of Arts. Picadilly. London W1. Rés. : 00.44.08.70.848.84.84. ou www.turks.org.uk. Catalogue : 50 £.

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